dimanche 17 novembre 2019

Shaft (Gordon Parks, 1971)

Il traverse les rues de Manhattan, bravant les voitures et les taxis qui circulent dans les grandes avenues. John Shaft (Richard Roundtree), en cet hiver 1971, porte un pull à col roulé, un manteau de cuir et arbore fièrement une moustache et des rouflaquettes fournies. Shaft est l'homme le plus cool de Harlem comme le disent les paroles de la célèbre chanson d'Isaac Hayes qui ouvre Shaft : « qui est ce détective privé noir qui est une machine sexuelle pour toutes les filles ? » Tout est dit et ça continue dans la description du héros.

Détective et sex machine, comme chantait James Brown. C'est le cas, il est champion dans tous les domaines. Commençons par le sexe et par sa manière d'en parler. Shaft pour un film de 1971 est cru dans les dialogues mais reste bien gentil dans les images. Deux scènes de cul, la première avec sa copine attitrée Ellie (Gwenn Mitchell) qui vit dans un appartement aux couleurs vives. Les peaux nues des deux acteurs seront passées au tamis de reflets lumineux. Dans la deuxième avec Linda (Margaret Warncke), c'est la porte vitrée de la douche qui fait écran.

Mais ce que montrent ces deux scènes est que Shaft couche avec des femmes peu importe la couleur de leur peau. Shaft est un gars ouvert au monde moderne, son sourire fait le reste. J'en veux pour preuve la séquence dans un bar tenu par un gay. Il prend d'ailleurs la place du barman pour mieux surveiller deux types de la mafia qui eux-mêmes surveillent l'appartement de Shaft qui se trouve juste en face du bar. C'est que John Shaft n'est pas seulement un grand charmeur, l'ami de tout le monde mais aussi un homme particulièrement futé et en avance sur les autres.

Futé en comparaison de tous ceux qu'il croise dans ce polar au récit classique. Il faut le rappeler, Shaft est un détective privé et pas un flic, c'est important car il n'est pas du versant du pouvoir. Il s'en moque souvent notamment de l'inspecteur Vic Androzzi (Charles Cioffi), premier personnage qu'il croise dans les rues de Harlem. Ils ont des rapports sur le mode chaud – froid et le film joue avec humour sur ces rapports où les dialogues sarcastiques fusent. Vic est franchement du côté de Shaft, souvent contre ses collègues et sa hiérarchie.

J'ai parlé plus haut de la tenue de John Shaft très près du corps et sensuelle. Celle de son nouveau client est bien différente. Bumpy Jonas (Moses Gunn), tout comme ses hommes de main, porte des tenues comme dans les années 1950, manteau de laine, pantalon de lin et chapeau mou. Très classe et totalement anachronique. Il se prend pour un parrain de la pègre noire d'une autre époque. Le vocabulaire châtié de Bumpy tranche avec le langage fleuri de Shaft, tout comme leur rythme s'oppose, la lenteur de l'un face à la vivacité de Shaft.

On passe de ce petit parrain prétentieux qui engage Shaft pour sauver sa fille kidnappée à un type bien plus nerveux, Ben Buford (Christopher St. John), ami d'enfance de Shaft mais qui a pris un parcours opposé. Il est évoqué les Black Panthers, on voit un portrait de Malcolm X, mais le film se garde bien de dresser un portrait politique. Malgré leurs différences, ou grâce à elles, Buford et Shaft vont s'unir pour enquêter, résoudre cette affaire et donner quelques coups de poing, vider quelques flingues et faire saigner quelques corps puisque Shaft est aussi un film d'action.


L'histoire est très basique, le rythme de Gordon Parks parfois pataud. Mais ce n'est pas grave. Ce qui est précieux dans Shaft est de voir New York en 1971. Cette part documentaire, voilà la beauté de Shaft. C'est de voir ces rues de Harlem, ce décor naturel, ces immeubles de briques rouges, le délabrement de ces quartiers délaissés, la nuit avec ses enseignes, ses néons, ses lumières, les salles de cinéma où les affiches n'affichent que des acteurs blancs, Robert Redford, Michael Caine. Richard Roundtree leur volait la vedette en 1971.


























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