jeudi 7 novembre 2019

Fargo (Joel Coen, 1995)

En 1987 dans le Minnesota, Prince venait de sortir son album Sign o' the times et l'actrice Betty White incarnait dans la série comique The Golden girls la naïve Rose Nylund, d'origine scandinave comme à peu près tous les personnages de Fargo. Ils faut les entendre tous ces hommes et ces femmes du petit comté de Brainerd, la patrie du bûcheron géant, se déplacer lentement, sans doute à cause de la neige qui les frigorifie, et dire un « Ja » sonore en accentuant longuement sur le A à chaque phrase, l'un des éléments comiques du film les plus irrésistibles.

Les frères Coen ont choisi leur terre natale et ne font jamais référence à Prince ni à Rose Nylund dans leur film. Mais on sent du début à la fin, dans cette manière de filmer le neige, les étendues infinies du paysage, la lenteur de l'hiver et ses habitants aux noms scandinaves à la fois une bonne dose d'ironie et un affection inconditionnelle. Ce bon village de Brainerd où rien ne se passe jamais va subir l'arrivée de deux malfrats, un petit brun bavard Carl (Steve Buscemi) et un grand taiseux aux cheveux peroxydés Gaear (Peter Stromare).

Ils ont été engagés par Jerry Lundegaard (William H. Macy). La première séquence de Fargo expose sans ambages tous les enjeux, avec une grande rapidité. Présentation rapide de Jerry aux deux malfrats de ce qui va arriver durant la prochaine demi-heure : ils doivent kidnapper sa femme, Jean (Kristin Rudrüd) pour demander une rançon auprès du beau-père fortuné et franchement méprisant pour son gendre. Puis Carl et Gaear doivent relâcher Jean. Pour faire ce rapt, Jerry a acheté, loin de chez lui, une Ciera marron. Il paiera les deux gars 40000$ pour ce faux enlèvement.

30 minutes, c'est le temps pour que ce plan foire totalement, mais sûrement pas sur un mode comique. Le rapt est effectué dans la panique et sur un mode pratiquement burlesque avec les deux tocards qui semblent à peine conscients de ce qu'ils font et Jean Lundegaard qui observe ces encagoulés de son salon. Parce que les deux hommes sont arrêtés la nuit par un policier en patrouille. Le flic est abattu sans sommation et laissé sur la neige. Un couple passe par là. Gaear prend le volant, fonce à leur poursuite, leur voiture tombe dans le fosse et il les abat eux aussi. Trois morts en quelques minutes.

Au bout des ces 30 minutes, arrive enfin Frances McDormand. Joel et Ethan Coen ont l'art extrême de savoir la faire attendre alors qu'elle est en tête du générique. Elle est Marge Gunderson, cheffe de la police locale et elle est réveillée très tôt le matin par un coup de téléphone. On lui annonce ces trois morts sur la route enneigée. Son mari Norm (John Carroll Lynch) se lève aussi. Il lui prépare son petit déjeuner qu'ils mangent tranquillement dans leur cuisine. Marge est enceinte, et pas qu'un peu, et c'est son rythme lent et calme que le film va adopter.

Il faut la voir se dandiner tout en menant son enquête emmitouflée de scènes de crime en motel miteux, de chez elle à quelques lieux divers. C'est aussi un défilé de personnages hauts en couleurs (un ancien collègue de fac, une voisine étrange). Elle ne paie pas de mine avec sa coiffure banale et son sourire un peu benêt. Elle est tenace dans sa volonté de démêler tous ces fils. Les nœuds du complot sont inextricables. Le spectateur sait tout et il s'amuse comme un enfant à voir comment Marge se débrouille pour relier ces meurtres à ce faux rapt.


Impossible avec le temps, de ne pas comparer Fargo avec Three billboards où Frances McDormand rejoue une partition similaire, au moins sur le papier. La violence froide et glaciale des frères Coen n'est acceptable que parce qu'elle s'oppose au flegme de Marge mais dans ce rôle de mère d'une victime horrible, Frances McDormand ne cessait de subir un scénario tyranique qui ne prend pas en compte ses personnages et son environnement. Fargo n'aurait pu être joué par personne d'autre qu'elle, dans ce lieu précis, totalement incarné, totalement réaliste.
























Aucun commentaire: