samedi 19 octobre 2019

Matthias et Maxime (Xavier Dolan, 2019)


En québécois, se frencher veut dire se rouler une pelle et dans les sous-titres se galocher. Quand Rivette (Pier-Luc Funk), non sans un petit sourire satisfait de son bon coup annonce à Matthias (Gabriel d'Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) que le petit rôle qu'ils ont dans le court-métrage de sa petite sœur Erika consiste à se qu'ils se frenchent, les deux amis ne savent plus quoi dire. Ils ont accepté, ils vont devant la caméra, l'un en t-shirt bleu, l'autre rouge. Voilà comment commence Matthias et Maxime, sur une promesse de baiser de cinéma.

Alors ce baiser ne sera pas vu. Quand les deux garçons s'embrassent, un peu contraint, sans enthousiasme, la caméra d'Erika Rivette fait écran, on ne voit rien. Et immédiatement, c'est un cut au noir. Hop, rien à voir. Plus tard quand Erika montre le film à sa tout le monde, un très court-métrage, 1 minute et 6 secondes dit-elle, Xavier Dolan fait la netteté sur ceux qui regardent et le flou sur le film qu'ils regardent. Mais ce baiser reste dans la mémoire des deux garçons et aussi de tous leurs amis d'enfance avec qui ils traînent pendant tout le film.

C'est au bord d'un lac, dans la maison de Rivette, le plus bourgeois d'entre eux, que les amis se retrouvent. Avec eux, Frank (Samuel Gauthier), le beau gosse aux cheveux longs qui s'appelle en vérité Francis, mais Frank ça fait mieux. Et aussi Brass (Antoine Pilon) diminutif de Brassard, le couillon de service. Et enfin Shariff (Adib Alkhalidey), le rebelle, qui arrive en retard. Ce qui frappe dans leurs scènes où ils sont tous, c'est l'aisance de la mise en scène de Xavier Dolan pour filmer la complicité entre eux, c'est devenu tellement rare que cette complicité ne paraisse pas factice.

Le spectateur est plongé dans ce groupe où ça n'arrête pas de parler, avec les voix qui se chevauchent, qui s'entrechoquent. Ça travaille beaucoup dans le montage son et ça va vite. Par chance il y a les sous-titres qui tentent de transcrire ce langage québécois, une vraie traduction des mots incompréhensibles. La petite sœur ajoute des mots anglais à chaque phrase, ce qui lui vaut des moqueries (et des rires). Quant à Maxime, il parle anglais avec difficulté, ce qui ne l'empêche de décider d'aller en Australie pour trouver du travail. Comme pour fuir cette vie qu'il na pas choisie.

C'est dans un compte à rebours jusqu'au départ en Australie que les rapports entre Matthias et Maxime sont scrutés. Ce baiser va entraîner des conséquences. La première est d'ordre physique. Matthias, ce grand gaillard en pleine forme, ce jeune adulte qui a une petite amie, se sent obligé de s'épuiser. Il traverse le lac de la maison de campagne de Rivette jusqu'à l'épuisement. Il va boire beaucoup jusqu'à perdre contrôle de son corps, il va tout à la fois rejeter Maxime (il lui lance un violent « ta gueule la tache », comme insulte par rapport à sa tache de vin sur sa joue droite) et à nouveau l'embrasser lors d'une soirée.

Matthias cherche à toute force le conformisme, il est avocat et doit reprendre le cabinet familial. L'une des séquences les plus éprouvantes le montre avec un jeune avocat McAfee (Harris Dickinson) d'une arrogance et d'une vulgarité incroyables. Matthias, tout à sa naïveté, pense se guérir du trouble amoureux qu'il éprouve pour Maxime en passant du temps avec cet hétéro primaire. Les jeux de regards de ses acteurs, leur silence après tout ce flot de paroles et les corps qui se replient sur eux-mêmes, montrent les changements de Matthias, ce questionnement sur sa vie amoureuse et ses rapports aux autres.

Matthias joue au connard (l'anniversaire de Maxime) et Maxime encaisse comme il peut les désagréments et les frustrations. Il a le soutien de ses amis (ce sont eux qui ont créé ce choc initial grâce au baiser). Le problème ce sont les mères, celle de Maxime (Anne Dorval) junkie culpabilisante comme la mère des Rivette (Micheline Bernard), libérale et libérée. Elle sont à la fois un poids et un soulagement, elles permettent à Maxime de penser un peu à autre chose qu'à Matthias. Les deux garçons pratiquent un slalom ininterrompu, pas foutus qu'ils sont de se dire qu'ils sont amoureux l'un de l'autre.

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