vendredi 25 octobre 2019

Journal intime (Nanni Moretti, 1993)

Pendant des années, j'ai bu un verre d'eau chaque matin suivant le conseil que Nanni Moretti donne dans le dernier plan de Journal intime. Il tient de sa main un verre d'eau, le porte à sa bouche et boit, tout en fixant avec un regard intense le spectateur. Il nous regarde et ça nous regarde, pour reprendre l'expression de Serge Daney. Ce dernier plan fait écho au tout premier plan du film, également un regard, mais caché, en plongée sur le cahier du cinéaste qui commence son journal en tenant un stylo.

C'est donc un parcours, un vrai road movie que Nanni Moretti entreprend dans ce film qui revient de loin. Journal intime arrive à Cannes 4 ans après Palombella rosa. Il n'avait pas donné de nouvelles depuis ce film politique et sportif. Dans le premier plan, il s'adresse à lui-même « caro diario », en plein narcissisme, un regard égotiste typique de Moretti, dans le dernier plan après tous ses déboires que le spectateur a découvert ébahi, il partage enfin, et je crois que c'était cela qui m'avait persuadé de boire un verre d'eau chaque matin.

La main est la machine du cinéaste Moretti, elle lui sert à tout, à conduire sa vespa dans les rues de Rome. Il est seul dans les rues, c'est très étonnant, je ne me rappelle pas à quel point cette ville grouillante semble irréelle d'être ainsi vide. Filmé de dos, t-shirt noir et casque blanc, la visite diurne de Rome se fait en dansant comme une comédie musicale (I'm your man de Leonard Cohen, Didi de Khaled, en fond sonore). Il danse également, lâchant son guidon pour entamer quelques mouvements drolatiques avec ses mains.

Il dansera aussi dans une boulangerie en regardant un extrait d'un film avec « la Mangano », Anna d'Alberto Lattuado (elle joue une bonne sœur) qu'il fait suivre d'un autre extrait, Mambo de Robert Rossen (elle danse un mambo). Nanni Moretti entame une danse de mains imitant Silvana Mangano qui exprime bien le mélange des genres du film. Quelques minutes plus tôt, face caméra, le cinéaste exprimait son désir de faire une comédie musicale sur un boulanger trotskyste dans l'Italie bourgeoise et conformiste des années 1950. Il fera ce projet dans Aprile en 1998.

Visiter Rome et rencontrer des gens. Bavard impénitent, Moretti arrête au bord de la route son scooter et commence à discuter avec ceux qui sont à côté de lui. Les passants et les conducteurs de voiture à qui il s'adresse ne comprennent pas tout, mais c'est toujours amusant ces incursions de fiction dans ce qu'on voyait comme du documentaire. Elles touchent au cinéma, rencontre dans la rue avec Jennifer Beals et Alexandre Roockwell, rencontre dans une salle de cinéma avec Henry portrait of a serial killer, rencontre avec Pasolini à Ostie.

Le film suit dans ses trois parties (Vespa / Les Îles / Les Médecins) un esprit de catalogue. Toutes les rues de Rome, toutes les îles éoliennes, tous les médecins dermatologues. Cet esprit rappelle certains gags de Jerry Lewis, notamment dans ses films sans scénario où seules les situations se succédaient, qui faisait débiter par ses personnages toutes les possibilités jusqu'à l'épuisement. Journal intime est plus écrit, il part du hasard des rencontres à la science des médecins (comme le faisait en son temps Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7).

La comédie de vient plus loufoque dans cette deuxième partie en voyage sur les îles éoliennes. Nanni Moretti est accompagné de Gerardo (Renato Carpentieri), un intellectuel barbu qui déteste la télévision, qui ne passe son temps qu'à étudier Ulysses de James Joyce. Ce qui est le plus drôle n'est pas seulement qu'il tombe dans le piège de la télévision (il se prend de passion pour Santa Barbara) mais aussi cette île peuplée de famille à enfant unique, c'est un film d'horreur à part entière avec ses insupportables moutards qui font la loi.


L'humour de Nanni Moretti se substitue au fur et à mesure à une petite musique mélancolique (Keith Jarrett en l'occurrence, tellement à la mode à cette époque, tout le monde écoutait son concert à Cologne) et à ses visites chez les médecins pour ses problèmes de peau. Il se gratte, il se gratte, il se gratte. Personne ne sait ce qu'il a. Ce défilé de docteurs en blouse blanche est drôle bien sûr mais terriblement triste. En fin de la fin, les deux seules choses qui guérissent, c'est le cinéma et un verre d'eau. Je n'avais pas vu le film de puis sa sortie, depuis 25 ans.




























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