mercredi 2 octobre 2019

L'Arbre, le maire et la médiathèque (Eric Rohmer, 1993)

« Oh des salades ! Tu sais que j'ai jamais vu des salades plantées. Je les vois toujours sous cellophane au Prisu. » s'exclame Bérénice Beaurivage (Arielle Dombasle) quand elle visite le jardin de son nouvel amant ou amoureux, selon ce qu'on veut, le maire de Saint-Juire, Julien Dechaumes (Pascal Greggory). Elle s'extasie devant les salades, se demande pourquoi le poirier en fleurs n'a pas encore de fruit, elle s'amuse à imiter avec Julien le gloussement du dindon qui lui répond. Bref, Bérénice s'amuse à la campagne.

Le jeune maire, fraîchement débarqué de Paris, tel un gentleman farmer avec son beau costume de velour et de tweed (il faudra comparer plus tard dans le film comment les vrais paysans s'habillent et parlent également), a été battu aux cantonales. Alors il décide de se présenter, sous l'étique du Parti Socialiste, aux législatives. Il vit dans un beau château et ce jour-là, Bérénice est venu le voir. Eric Rohmer les filme tous les deux, elle allongée sur un sofa en Maja habillée, lui sur un fauteuil en peignoir, il prenne le café du matin.

Monsieur le Maire a de l'ambition, il veut créer à la place d'un pré, que la commune a acquis, un centre culturel moderne au milieu du village. Quelle idée ! « Que c'est beau ! Que c'est beau ! » dit Marc Rossignol (Fabrice Luchini), le directeur de l'école. Il ne se pâme pas devant le plan de la future médiathèque, ni ne complimente l'idée du maire mais il admire l'arbre, cet arbre en tête du titre du film, ce vieux saule pleureur qui perd de sa superbe mais qui est là devant l'école où il enseigne à des gamins le sens du mot si.

Avec des si, on peut changer le monde. Le sous-titre de L'Arbre le maire et la médiathèque est « les 7 hasards ». Ce sont ces hasards qui vont mettre en miettes le projet de Julien Dechaumes. Il avait tout prévu, il était parvenu à obtenir des subventions, à boucler des financements, à convaincre à peu près tout le monde, il espérait que cette médiathèque serait un tremplin pour sa carrière politique. Mais les hasards s'érigent en obstacle. Eric Rohmer les égrène avec humour, avec un petit air musical guilleret mais moqueur à chaque carton écrit à la main.

J'avais découvert L'Arbre le maire et la médiathèque à sa sortie en 1993 sans connaître Eric Rohmer. C'était mon premier film du cinéaste. Je connaissais Fabrice Luchini uniquement à cause de La Discrète, beau film de Christian Vincent hélas bien oublié aujourd'hui (j'aimerais le revoir). Entrer dans le monde d'Eric Rohmer avec ce film est une gageure, pour moi, c'était un bonheur total. J'ai vu depuis tous ses films, les suivants au cinéma, les précédents en vidéo ou à la télé, L'Arbre le maire et la médiathèque reste mon préféré.

En le revoyant 26 ans et des poussières plus tard et tandis que Fabrice Luchini incarne désormais le maire de Lyon dans Alice et le maire (avec un brio inégalable), ce qui m'a le plus frappé est que tout ce qu'avait écrit le cinéaste, tous ses dialogues qui ont été souvent moqués à sa sortie et même aujourd'hui, sont d'une incroyable actualité. Mieux que ça, Eric Rohmer dans ce film prévoyait absolument tout ce qui est arrivé dans le paysage politique français depuis 26 ans.j'en suis resté souvent bouchée bée devant un tel esprit visionnaire.

Il s'en est fait beaucoup des films sur des hommes politiques, surtout ces dernières années, de Quai d'Orsay à Alice et le maire en passant par Chez nous et Le Poulain. Mais aucun n'a autant refusé le manichéisme et la démagogie que L'Arbre le maire et la médiathèque. C'est loin d'être un exposé de la seule France de 1993, la défaite du PS, le suicide de Bérégovoy, la cohabitation avec Balladur téléguidée par Chirac n'étaient pas encore arrivés quand le film est sorti, mais on parle déjà d'écologie, de la menace des populistes et de fin de l'ancien monde.

Revenons un peu sur cette Bérénice, cette candide de la ville chez un dandy de la campagne. Julien avec condescendance la traite pendant la première partie de bécasse, il la trouve franchement stupide. Assez tôt, elle trouve ce projet de médiathèque ridicule. Avec un judicieux retournement de situation, l'arrivée d'une journaliste Blandine Lenoir (Clémentine Amouroux) – l'un de ces fameux hasards – et des discussions plus vraies que nature avec l'architecte puis des habitants, Bérénice apparaît comme l'incarnation de la sagesse, ou du moins, enfin on entend ses arguments aussi valables que les autres.


Fabrice Luchini n'apparaît que dans quelques scènes du film mais c'est lui qui dans les dernières minutes du film commence à entonner la chanson qui clôt le récit, suivi de Pascal Greggory puis d'une chorale locale et enfin d'Arielle Dombasle, véritable star de L'Arbre le maire et la médiathèque. Car c'est aussi ça la fantaisie maîtrisée et cocasse d'Eric Rohmer (et il faut rappeler que le film fait souvent preuve d'un humour irrésistible), il invente le film politique français, loin de la fiction de gauche et finit en comédie musicale.
























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