jeudi 17 octobre 2019

Barton Fink (Joel Coen, 1991)

Quand on ouvre le dictionnaire, mettons le Larousse, au mot glauque on trouve la définition suivante « de couleur verte tirant vers le bleu ». Voilà, glauque est une couleur et Barton Fink est glauque. Ce lent travelling avant vers la tapisserie d'un autre temps permet d'avoir du temps, celui du générique du début, pour observer tout ce glauque qui va arriver à Barton Fink (John Turturro) qu'on découvre assistant à une représentation de théâtre. Il est auteur, un auteur qui va être aimablement critiqué par les journaux, dont le New York Herald Tribune, pour l'instant il sort des coulisses pour rapidement aller saluer le public derrière ses comédiens.

Tout est déjà dans cette première séquence, l'aspect poisseux et les coulisses. Les coulisses du spectacle est le sujet majeur de Barton Fink. Son personnage éponyme va être engagé par Hollywood. Mais pas question pour les frères Coen de pénétrer dans le glamour et les strass, c'est au contraire dans un hôtel épouvantable qu'il va débarquer. Cet hôtel en général, sa chambre en particulier, la N°261, est glauque avec la tapisserie qui suinte. Dans cet hôtel, le groom Chet (Steve Buscemi) est tout sourire et tout au service des clients, mais où sont-ils ces clients. Tout ce qu'on voit d'eux ce sont les chaussures qui sont dans le couloir, Chet le soir ira les cirer.

Un petit coup de téléphone au si serviable Chet et Barton Fink se plaint des sanglots de son voisin. C'est que Barton a du mal à trouver l'inspiration. Il a allumé le ventilateur, il a posé sa machine à écrire sur le bureau, il a testé le matelas qui grince. Il commence à écrire l'amorce de son scénario, un récit glauque situé dans le sud de Manhattan. Et on frappe à la porte, c'est le voisin que Chet a appelé pour indiquer que Barton s'est plaint. Le voisin s'appelle Charlie Meadows (John Goodman). L'acteur n'était encore connu que pour la série Roseanne et son embonpoint détonnait. Evidemment, sa bonhomie est parfaite face à John Turturro.

Ses grands cheveux et ses lunettes cerclées rappellent autant le personnage principal d'Eraserhead de David Lynch que Harold Lloyd. Ce qui bouge le plus dans Barton Fink c'est sa bouche qui se tord tandis que ses yeux s'écarquillent. La composition de l'acteur, qui lui a valu le Prix d'interprétation au Festival de Cannes 1991 – en même temps que ma Palme d'or et le Prix de le mise en scène, ce qui provoqua un petit changement de règlement – est l'une des plus étonnantes, tout est dans la catatonie, dans l'attente, dans la déprime. Charlie Meadows est une porte vers le monde extérieur que Barton Fink ne voit plus.

La seule ouverture est une image accrochée sur le mur au-dessus de son bureau, une femme sur la plage observant l'océan et posant sa main droite sur son front pour regarder l'horizon. Cette femme, Barton semble la reconnaître quand il rencontre Audrey Taylor (Judy Davis), la secrétaire de l'écrivain Mayhew (John Mahoney), engagé comme lui par Hollywood pour écrire des scénarios. Barton va le voir pour avoir des conseils sur le film qu'il doit écrire, un film de catch avec Wallace Berry. La rencontre ne se passe pas tout à fait comme Barton l'espérait, surtout il comprend que cet écrivain qu'il vénère n'a pas écrit ses livres, Audrey en est l'auteur.

Le dégoût de sa position à Hollywood fait vomir Mayhew. Jadis je considérais qu'un bon film des frères Coen était un film où ses personnages vomissent. On gerbe deux fois dans Barton Fink, Mayhew alcoolique au dernier degré puis Charlie Meadows, chaque fois hors champ mais on entend le son et on découvre le malaise de ces deux hommes. Mayhew déteste Hollywood. C'est le moment pour les frères Coen de rentrer un peu plus dans les coulisses du système avec une esquisse à grands traits des studios. Une esquisse plus vraie que nature de ce cinéma des années 1940, le film se déroule en 1941, pendant l'été.

Le trio des producteurs compose la série de portraits les plus accablants possibles. Ici, le commanditaire du film de catch Geisler (Tony Shaloub), pas intéressé pour deux sous par le film si ce n'est dans l'espoir un peu vain de faire du fric. Puis le patron du studio Jack Lipnick (Michael Lerner), un type d'une vulgarité ineffable, il change d'avis comme de tenue (costume cravate, peignoir de piscine, uniforme de colonel), sa passion est d'humilier son prédécesseur un certain Lou (Jon Polito) qu'il insulte, contredit et manipule. Voilà le portrait cynique de Hollywood.


Plus encore que ces types déplaisants, les personnages les plus antipathiques sont les deux flics (Richard Portnoy et Chris Murney) qui méprisent Barton Fink, lui posent les questions les plus insidieuses possibles et le traite de sale youpin (comme Lipnick d'ailleurs). On est contents de voir Charlie les buter au fusil dans une scène hallucinée, celle où le feu vient tout consumer, tout détruire. A vrai dire, on se sait pas si elle est vraiment vécue par Barton Fink cette scène ou si elle est l’œuvre de son imagination dans un cauchemar éveillé, dans la folie où à peu près rien ne peut désormais le sauver.



























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