mercredi 30 octobre 2019

Le Traître (Marco Bellocchio, 2019)


« Un toast à nos amis, à nos familles et à l'argent ». Toute la mafia sicilienne est réunie dans la cossue demeure de l'un de ses pontes. Ils décident de se partager le marché de l’héroïne entre les différentes familles. Tout cela se passe le soir du 4 septembre 1980, c'est ce jour-là que commence Le Traître, c'est ce jour-là que l'hôte de la soirée, avec un grand sourire, propose de porter un toast dans l'espoir que tout se passe bien « pour cette famille et pour cette paix qui durera toujours ». puis, sur la plage un feu d'artifice est tiré et tout le monde acclame la sainte du jour, Viva Santa Rosalia puis se mettent à danser en farandole comme s'ils étaient tous unis.

Cette séquence d'ouverture d'à peu 10 minutes repose sur les clichés des films de mafia italiens (et américains aussi). Légion depuis des années pour ne pas dire à la mode (Piranhas, Gomorra, 5 est le numéro parfait, Frères de sang pour les plus récents), ils reposent toujours sur cette idée de la famille. Marco Bellocchio les montre tous dans une fête. Il passe de l'un à l'autre, avec l'hôte, tout à sa joie, qui souhaite prendre une photo avec tout le monde. Le cinéaste en profite pour incruster sur l'écran le nom de toute cette population. Le cliché est pris avec tout le monde, certains tirent la tronche, ils n'ont pas envie de ce souvenir éventuellement compromettant.

La gueule de l'emploi, Pierfrancesco Favino l'a pour jouer ce Tomasso Buscetto, lunettes de soleil la plupart du temps sur le visage, clope au bec tout le temps et grosse moustache. Buscetto a une famille, plutôt nombreuse. Il a eu trois femmes et huit enfants. En cette fin 1980, il s'apprête à partir au Brésil avec Cristina (Maria Fernando Candido) et ses trois jeunes enfants. Il compte laisser les deux aînés, maintenant adultes, en Sicile. Il est inquiet pour Benedetto que le père découvre complètement défoncé. Son regard noir, qu'il ne changera guère, juge ses compères et ses pairs et son exil forcé au Brésil.

Il faut tenter d'écouter attentivement ce que disent les personnages. Le film est polyphonique. Cristina et Tomasso parlent entre eux en portugais, ils sont ainsi à peu près sûr que personne ne les comprend. Lors de son second exil aux USA, on entendra aussi de l'anglais mais avec un fort accent, forcément. La plupart des siciliens parlent le dialecte local entre eux. Cela créera des incidents plus tard lors du procès quand Contorno (Luigi Lo Cascio) n'échinera à ne parler que sicilien. Le tribunal lui ordonnera de parler italien, mais Contorno ne sait pas parler italien. Cela dit, c'est surtout le langage du corps qui prime avec ces doigts en corne pour porter un mauvais sort que lancent les autres accusés.

Le gros morceau du film est constitué des scènes de procès. Elles sont absolument géniales avec une disposition des protagonistes qui compose la dramaturgie. D'un côté les juges sur leur estrade, derrière des pupitres qui coupent leur corps en deux. On ne voit que le haut. De l'autre côté, les prévenus dans des cellules qui forment un croissant. Les accusés cherchent à toute force à perturber le bon déroulement du procès. Alors que tout cela est très sérieux, ces perturbations apportent un élément comique comme on n'en voit rarement. Ils sont des pitres, ils sont facétieux, ils sont impertinents. Rarement, je n'ai autant apprécié des scènes de procès où tout est en mouvement constant avec au centre Buscetto qui tourne le dos à ses anciens amis.

Le procès a eu lieu en 1986 après que Buscetto ait décidé de se repentir. Il va tout raconter au juge Falcone (Fausto Russo Alesi) non pas pour se venger de l'assassinat de ses deux fils par Riina (Nicola Cali) le chef du clan Corleone et son allié Pipo Calo (Fabrizio Ferracane) mais parce qu'il pense que ce sont eux qui ont trahi la Cosa Nostra. Avant le procès, ce sont des longues scènes de dialogues entre Buscetto et Falcone qui sont de haute tenue. L'histoire est vraie mais la matière dépasse tellement la fiction que tout semble incroyable. Le film dure certes 2h31 (avec 9 minutes de génériques) mais tout passe vite dans un enchevêtrements entre les époques, voilà un immense film politique, une œuvre de cinéma total pour un immense plaisir de spectateur.

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