jeudi 3 octobre 2019

Alice et le maire (Nicolas Pariser, 2019)

On s'appelle par son prénom. Daniel, Isabelle, Alice, Gauthier, Mélinda, Xavier, Delphine. On est dir' comm', dir' cab', philosophe, écrivaine, éternel étudiant, assistante, relieur. Et on court, on marche, on file. On ne s'arrête jamais. On est dans une fourmilière, dans une ruche, on s'affaire sans cesse, on traverse les couloirs de la mairie, des places, des jardins. Voici les coulisses de la mairie de Lyon, comme si on y était et d'ailleurs le rythme adopté par Nicolas Pariser est si haletant qu'on n'a pas le temps de souffler pas plus qu'Alice. On va vite être à la place d'Alice, on adopte son regard étonné et candide.

Avec sa petite robe, son sac en bandoulière, Alice Heimann (Anaïs Demoustier), la seule de ces jeunes personnages dont on connaîtra le nom de famille arrive à l'hôtel de ville et se fait conduire dans un bureau au fin fonds de la mairie, un endroit où on imagine qu'on mettrait quelqu'un au placard, un endroit d'un service dont le maire se contrefout. Là voilà dans ce bureau, elle hésite à répondre au téléphone dans la pièce adjacente. Alice a été accompagnée là par Mélinda (Nora Hamzawi), au visage rigolo, la seule à porter des lunettes. On ne saura jamais vraiment quelle est sa fonction.

Isabelle (Léonie Simaga, absolument géniale) est le personnage le plus complexe d'Alice et le maire et le plus obscure. Elle est l'éminence grise du maire. Elle sait tout, elle entend tout, elle connaît tout. Ce qui est vraiment remarquable dans le film est cet art de distiller les enjeux grâce à Isabelle, c'est elle qui relance le récit à chaque apparition à grand coup de phrases péremptoires et d'assertions cassantes. Elle a des répliques percutantes qui décide, d'un coup de langue de changer tel ou tel orientation. Le film aurait très bien pu s'appeler Alice, Isabelle et le maire. Si Alice est le spectateur du film, Isabelle en est la scénariste.

On apprend que Daniel n'est pas content. Qui est Daniel demande Alice. Encore un simple prénom. Daniel (Antoine Reinhartz) est le grand communicant de la mairie. Encore plus qu'Isabelle, il pratique la novlangue. Ce qui donne droit à quelques scènes de réunion pas piquées des hannetons où on entend ce qu'on peut faire de plus abscons en matière de politique pour un projet bidon et stupide « Lyon 2500 » que chapeaute un grand manitou de la communication, un certain Patrick Brac (Thomas Chabrol) qui appelle Alice au téléphone sans qu'elle ne réponde, ce qui lui vaut des remontrances d'Isabelle.

Le petit bureau d'Alice va s'agrandir, va s'embellir, va surtout provoquer la jalousie d'à peu près tous ses nouveaux collègues. Le plus fort est qu'on ose dire à Alice que Daniel est jaloux de cette promotion aussi rapide qu'injustifiée, en tout cas aux yeux du jeune directeur de la communication. C'est que face à la logorrhée verbale, à ces éléments de langage de Daniel, Alice semble opposer une vision plus « modeste ». C'est le mot « modestie » qui enclenche tout un processus chez le maire Paul Théraneau (Fabrice Luchini). On ne l'appelle pas par son prénom, à peine par son nom, on dit les deux « Paul Théraneau » ou plus simplement « le maire ».

Elle est là pour revitaliser ce maire, lui apporter des idées. Ah, les idées, elle en a forcément puisqu'elle a fait de la philosophie. Le film apporte un plaisir du langage, du mot rondement choisi (le premier échange entre Alice et la maire), celui qui a du sens alors que ceux de Daniel ont perdu tout sens. Paradoxalement, c'est Alice qui se construit, qui renoue avec un ancien ami qu'elle aurait pu aimé, ce Gauthier (Alexandre Steiger) encombrée par sa pasionaria de la politique, cette Delphine (Maud Wyler), deux des acteurs de Perdrix. Elle rencontre un certain Xavier (Pascal Reneric) en l'extrayant d'un coup de communication.

Après avoir vu L'Arbre le maire et la médiathèque d'Eric Rohmer et appris que Nicolas Pariser aime, comme moi, beaucoup ce film, je me suis plu à imaginer que le personnage de l'instituteur de Rohmer aurait quitté son village, aurait fait de la publicité (l'ancien métier de Paul Théraneau) et par vocation – comme il le dit lui-même sans rire – serait devenu politicien. Et après quelques mandats, il se serait lassé. Il se serait isolé dans son immense bureau dans les ors de la République (en l'occurrence la ville de Lyon). Cela me semble un parcours logique en 26 ans de vie, une vie à travers les films.

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