mardi 22 octobre 2019

La Dame de Shanghai (Orson Welles, 1947)

Dans ce long trajet en yacht entre New York et San Francisco, il ne sera fait aucune étape à Shanghai. Ce n'est qu'un souvenir, celui de Elsa Bannister (Rita Hayworth) où elle vécu jadis dans une position peu enviable, celle de call girl, de femme de petit vertu, de poule de luxe. Celui qui a emporté le morceau est un célèbre avocat du barreau, Maître Bannister (Everett Sloane), monstre hideux qui ne se déplace qu'avec des cannes, le visage carnassier filmé en gros plan.

Pas étonnant qu'elle succombe immédiatement au charme de Michael O'Hara (Orson Welles). C'est une nuit à Central Park, elle se promène en calèche, il la drague sans vergogne. Il montre sa force (une bagarre contre trois petites frappes qui l'attaquent dans les fourrés), il séduit par son sourire et finit par la raccompagner au garage où sa voiture est garée. Le lendemain, c'est le mari qui va voir O'Hara pour l'embaucher sur son yacht, après un refus poli, il accepte le poste.

Chaque nouveau film d'Orson Welles propose un nouveau défi. Dans La Dame de Shanghai, c'est tout simplement de filmer sur un vrai bateau et pas comme cela est fait d'habitude de tourner les scènes maritimes en transparence. C'est à dire que les acteurs jouent sur un faux bateau devant une mer qui est projetée sur un écran. C'est ce réalisme qu'il recherche et qui apporte un sentiment de promiscuité due à l’exiguïté du lieu. Par définition, un yacht c'est pas grand.

Cette promiscuité est développé avec une suite de gros plans des visages parfois en regard caméra qui alternent avec des plans d'ensemble. Les gros plans permettent de montrer la sueur de ces corps qui n'en peuvent plus de s'éviter alors qu'ils voudraient se frotter. Cela permet aussi de montrer des visages libidineux tel Grisby (Glenn Anders) l'associé de Bannister qui observe à la longue-vue Elsa quand elle prend un bain de soleil en maillot de bain.

De ces corps se dégage une évidente sensualité, Orson Welles chemise ouverte, les yeux qui déshabillent son actrice. Mais quand celle-ci commence à porter la veste du Capitaine, sa casquette et à prendre la barre, c'est le moment où Michael O'Hara est perdu. Il est pris au piège de la belle Elsa qui exige qu'il l'appelle Rosalie. Il est au centre de toute l'attention, celle de Bannister qui accepte qu'il séduise son épouse et celle de Grisby plus perverse.

Dans ces rapports de classes qui s'établissent entre les riches (Bannister et Grisby) et les pauvres (Elsa et Michael), c'est de la domination pure et simple. Ces deux derniers sont des objets, presque des contrats que les deux premiers ont contracté. Comme Elsa a épousé Bannister pour quitter Shanghai, Michael accepte un contrat de dupes avec Grisby qui ricane de son coup. Un contrat bien tordu qui complexifie encore plus le récit déjà bien noir.

New York, l'océan atlantique, puis les Antilles ensuite l'océan pacifique et San Francisco. Orson Welles fait quelques escales où il filme aux Antilles les habitants avec un point de vue documentaire sans doute pour masquer la frustration de n'avoir jamais pu sortir son film brésilien It'a all true. Il filmer Chinatown de la même manière, caméra à l'épaule. Il filme l'opéra chinois en simple spectateur avant d'aller dans les coulisses d'un parc d'attractions.


Le finale ne dure que 4 minutes mais elle est d'une beauté incroyable. C'est la métaphore d'une descente aux enfers (Orson glisse dans le toboggan) puis d'un cauchemar éveillé avec les miroirs qui multiplient les visages, déforment la taille des corps, modifient les proportions dans un feu d'artifices de coups de pistolet qui brisent les miroirs. Cette manière d'aller vers l'abstraction est géniale, c'est la transcription de ce qui passe dans le cerveau de Michael avant de finir seul. Peut-être a-t-il imaginé tout ce que l'on vient de voir.





































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