vendredi 12 avril 2019

L'Institutrice (Nadav Lapid, 2014)

Circonscrire le terrain, en dessiner la topographie, détailler chaque recoin de l'école de Nira (Shavit Larry) l'institutrice et de Yoav (Avi Shnaidman) l'élève de 5 ans, charmant bout de chou aux cheveux châtains. Il convient pour Nadav Lapid d'appréhender cette école de Tel Aviv, de montrer la grande salle de classe, la pièce où les enfants font la sieste, la cour de récré avec son traditionnel bac à sable, une école dans un quartier cossus, une école pour riches parents, une école de privilégiés.

Yoav est souvent le dernier enfant à partir de l'école, avec son long short et son t-shirt trop grand, son petit air boudeur, il est récupéré le soir par sa nounou Miri (Ester Rada), une jeune apprentie actrice. Soudain l'enfant se met à faire les cent pas, des courts allers et retour. Miri demande rapidement un stylo à l'assistante scolaire, s'accroupit et commence à écrire. Yoav invente un court poème en direct, sans fierté, avec sa petite voix de marmot. Nira écoute stupéfaite la facilité avec laquelle il crée.

Stupéfaite parce qu'elle essaie elle aussi d'écrire des poèmes, en vain. Elle participe à un atelier dirigé par un prof cool et encourageant (Gilan Ben David). Cet atelier est le pendant adulte de sa classe et ici règne dans la plupart des scènes où il est décrit la jalousie entre les élèves, puisqu'on peut les appeler ainsi, notamment cette jeune femme gangrenée par le politiquement correct et qui voit dans chaque poème de quoi donner des reproches, y compris quand Nira déclame les vers écrits la veille par Yoav.

Nira se donne une mission, écrire les poèmes de l'enfant. Cette mission elle se l'attribue un soir quand elle dîne avec son mari (Lior Raz). Ce troisième décor est celui d'une vie terne faite de routine, le repas suivi d'un petit coup avec son mari qui se fout à poil dans le couloir. Le sexe est triste mais surtout elle semble s'ennuyer en permanence et ne penser qu'à Yoav et à ses poèmes. Son appartement est le lieu du conformisme dépeint ici par la volonté de leur fils de s'engager dans la vie militaire, célébrée ironiquement par une soirée dansante.

Nira a bien conscience de sa propre banalité, de son conformisme intérieur qu'elle tente de masquer en prenant des cours de poésie et c'est ce qui la ronge. Nira est en ce sens une métaphore de la colonisation. En volant les poèmes de Yoav pour se faire mousser, pour se créer une identité qui oblitérerait sa superficialité, elle dépasse l'entendement. Elle se crée une obsession, recueillir tous les poèmes de l'enfant et refuse de faire autre chose, quand le môme préfère avec son copain Assi entonner des chants entendus sur les stades de foot.

Ce terrain décrit plus haut est un terrain de chasse. La force de L'Institutrice est de dévier inéluctablement vers l'angoisse. Cela commençait avec ces regards caméra des enfants vers elle, cela continue avec son attitude molle qui contraste avec la violence de ses sentiments. Elle fait tout pour éliminer ses ennemis, Miri en premier lieu, clamant au père de Yoav qu'elle vole les poèmes. Pour soustraire l'enfant à ce père qui refuse qu'il écrive des poèmes, elle l'enlève pour une virée au calme apparent mais d'une violence inouïe.


C'est cela le cinéma de Nadav Lapid, montrer que derrière les apparences, derrière ce gentils yeux de cette agréable institutrice qui ne dit pas un mot plus haut que l'autre, derrière ce sourire effacé, tout un continent de haine rentrée n'attend qu'à se répandre sur les autres. Pas de scènes choc, pas de twists infernaux pour surprendre le spectateur et encore moins de musique flippante – si ce n'est un tube de l'été dans cette station balnéaire touristique, l'horreur incarnée, le film est bien plus retord et complexe que cela.
























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