samedi 20 avril 2019

Hyènes (Djibril Diop Mambéty, 1992)


« Le Président Senghor avait invité Sa Majesté Elizabeth II à visiter notre village » affirme fièrement le maire de Colobane (Mamadou Mahourédia Gueye). C'est dire que ce village au large de Dakar – que l'on aperçoit au loin dans les derniers plans – n'est pas perdu au milieu de la brousse comme on pourrait le croire. Colobane est le centre du monde, au moins celui de Djibril Diop Mambéty qui en est originaire. Dans les premiers plans de Hyènes, après les pieds d'éléphants, ce sont les habitants qui débarquent comme venus d'on ne sait où pour aller boire un verre à l'épicerie café que tient Draman Drameh (Mansour Diouf).

Les petites habitudes des clients de Draman, qui de toute façon n'ont pas un sou pour acheter quoi que ce soit, vont être bouleversées ce jour-là avec une annonce par le crieur public : il le clame dans la rue principale, voici le retour de la fille prodigue du village, celle qui avait disparu depuis 30 ans. Tout le monde va venir accueillir Linguère Ramatou (Ami Diakhaté) qui n'arrive pas n'importe comment mais dans le train. Avec malice, le bruit des freins de la locomotive font écho avec le cri d'une hyène apparaissant ici en insert, comme pour informer que Linguère va mener la vie dure à ses anciens voisins.

Le cheminot proteste avec énergie car l'alarme a été actionnée afin d'arrêter le train, mais Linguère a une réponse toute faire : elle sort une bonne grosse liasse de billets pour calmer les colères des gens. Elle achète le silence car elle devenue très riche, plus riche que la banque mondiale dit-elle en levan le menton, fière d'en montrer plein la vue. Linguère se déplacera dans une voiture de luxe conduite par une Japonaise en costume cravate d'homme. Elle porte de somptueux vêtements jaune, la couleur de l'or et en offrira à tous ceux qui acceptent de se mettre de son côté et ils seront nombreux à prendre l'argent de cette femme qu'ils avaient rejetée des décennies auparavant.

« Mon petit chat sauvage, ma petite sorcière, ma panthère noire ». C'est par ces mots que Raman Rameh évoque un passé commun avec Linguère Ramatou. Elle lui répond « C'est à cet endroit que tu as défait mon pagne ». A 16 ans, elle a été sa fiancée, elle a eu un enfant de lui, il l'a rejetée. Elle a quitté le village, l'enfant est mort et elle revient se venger. Non sans morgue, elle fait annoncer par son avocat (Djibril Diop Mambéty en personne) qu'elle veut racheter le tribunal contre cent milliards. L'avocat apparaît vite comme l'éminence grise de Linguère, comme l'homme qui va accomplir pour elle cette vengeance si mûrement réfléchie.

La rigoureuse construction du film élaborée à partir du roman de Friedrick Dürrenmatt prend des allures de conte avec trois parties bien distinctes séparées par un fondu au noir et suivi de l'apparition d'un animal. La transformation des villageois constitue à la fois la trame dramatique et dénote l'aspect volontairement burlesque du propos. Cela passe par toute une panoplie de tenues extravagantes que les habitants portent désormais une fois que l'argent de la vieille femme leur a été distribué. Elle choisit de corrompre tout le village pour nuire à son ancien amant et ils ne se prive pas comme le montre cette séquence hilarante où ils viennent acheter tout le magasin.

Plus que cela, Linguère avec ses deux prothèses (jambe droite et main gauche) qui exposent sa souffrance passée, veut montrer à Xoudia Lô (Faly Gueye) l'épouse de Raman qu'elle prévient que l'homme qu'elle a épousé est un lâche. Xoudia était déjà au courant mais la beauté du film tient dans cette alliance à distance entre deux femmes a priori rivales, toute deux indépendantes et libres chacune à leur manière, pour que Raman soit remis à sa place. Plus le film avance, sur un bon rythme, plus la poétique envahit l'espace jusqu'à l'ultime confrontation entre les deux anciens amoureux où l'onirisme prend toute sa place comme si tout avait été un rêve.

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