lundi 1 avril 2019

Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1962)

Puisque Arte diffuse depuis quelques jours Cléo de 5 à 7, jetons un petit coup d’œil aux aventures de Florence (Corinne Marchand) alias Cléo, jeune chanteuse en herbe qui a sorti trois 45 tours. C'est à la toute fin qu'on découvre son vrai prénom, elle le révèle à un jeune homme rencontré dans le parc Montsouris, un garçon à la voix douce (Antoine Bourseiller), la chemise ouverte en cette fin de journée d'été, le jeune homme met ensuite son uniforme, c'est un appelé, le soldat doit partir en Algérie le soir-même.

La guerre d'Algérie, quand Agnès Varda tourne son deuxième long-métrage, n'est pas un sujet abordé par le cinéma français. Loin de là, censure oblige (Le Petit soldat). Pourtant le conflit est évoqué deux fois dans le film. En début de parcours, Cléo et Angèle (Dominique Davray, l'actrice jouait Madame Mado la proxénète des Tontons flingueurs), la dame à tout faire, une sorte de surveillante générale bienveillante mais consciente des petits caprices de sa vedette en devenir, sont dans un taxi (caméra subjective pendant le trajet) et la chauffeuse du taxi a mis la radio.

Ce sont les infos, le journal radio qui informent de la guerre en Algérie tellement loin des préoccupations de Cléo que la caméra va suivre pendant ces presque deux heures. Deux heures de sa vie de la visite chez la voyante jusqu'à l'hôpital, soit de la superstition à la science. Mais c'est la voyante, attentive à son angoisse, la regardant droit dans les yeux, bien plus que le médecin qui fonce dans sa voiture décapotable, qui s'intéresse au destin de Cléo, à ce cancer qui va semble-t-il la ronger. La préoccupation majeure de Cléo est cette maladie et cela occupe tout son esprit.

L'idée du film est que la jeune femme se sent seule même accompagnée. Passé le prologue (la seule séquence en couleurs du film), Cléo va d'un lieu à un autre, toujours accompagnée. Avec son ange gardien la bien nommée Angèle. Elle achète un chapeau et badine dans la boutique. C'est une multiplication de miroirs dans un élan narcissique qui rappelle à Cléo le trouble dont elle souffre. Puis chez elle, un logement totalement irréel sorte de cage dorée au lit à baldaquin, où elle fait de la balançoire. On pense à la chambre de Peau d'âne.

Elle reçoit la visite de son musicien (Michel Legrand) et de son parolier (Serge Korber) qui improvisent au piano. Cléo chante une chanson triste « seule, laide et livide », clame Cléo regard caméra à qui veut l'entendre. Elle jette sa belle perruque blonde et revêt une robe noire. Comme la profusion de miroirs, ce sont les regards caméra qui scandent la plupart des scènes du film. Il se dégage une mélancolie qui va s'estomper au fur et à mesure que la journée se termine, et c'est quand elle se promène avec Dorothée, son amie modèle, que sa situation change quand Dorothée brise son miroir.


Beau moment, lors de la visite au cinéma où le fiancé de Dorothée projette ce fameux court-métrage avec Jean-Luc Godard et Anna Karina et plein d'autres amis d'Agnès Varda. Ce que je trouve aussi très beau ce sont ces longues déambulations artères de Paris, les publicités, les enseignes et les trognes. C'est un puissant objet documentaire qui se projette sous les yeux des spectateurs, le tout découpé en chapitres. On découvre, on se rappelle, on aperçoit ce Paris de 1961, voilà aussi où gît la beauté du film. Comme je l'écrivais vendredi, Agnès Varda n'est jamais meilleure que dans sa veine naturaliste et documentaire.






























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