samedi 26 août 2017

Un carnet de bal (Julien Duvivier, 1937)

Veuve après quinze ans de mariage, Christine Surgere (Marie Bell) retourne dans l'immense villa au bord d'un lac en Italie. Tandis qu'elle range les affaires, papiers, vêtements de feu son époux, elle tombe sur son carnet de bal. Elle avait 16 ans, c'était en 1919, elle en avait des prétendants. Elle s'allonge sur un divan et songe à ce bal, à ces belles robes blanches des demoiselles, au beaux costumes noirs des messieurs. A son réveil, elle se demande ce qu'ont bien pu devenir tous ces soupirants d'un soir dont elle a une soudaine nostalgie.

L'un de ses amis parvient à retrouver les adresses de la plupart de ces 10 hommes qui lui avaient accordé une danse. Plutôt que de rien faire, elle décide de partir à leur rencontre, à moins que tout Un carnet de bal ne soit qu'une longue rêverie où elle irait leur rendre visite. C'est en voyant Le Cancre, qui assume la filiation avec le film de Julien Duvivier, que j'ai eu envie de me replonger dans ce long Un carnet de bal, une suite d'épisodes (cela convient mieux que sketches) aux tons variés, mélodrame, film noir, comédie, tragédie.

C'est l'occasion de faire jouer les acteurs et actrices parmi les plus connus de 1937 et de traverser la France, de Paris à Marseille en passant par les Alpes, des gens fortunés aux indigents. Elle dira en fin de film après avoir discuté avec tous ceux qui sont encore vivants qu'ils ont tous renié leur jeunesse. Parmi tous les hommes de ce bal, seul l'un d'eux, Gérard, semble n'avoir laissé aucune trace, l'ami de Christine n'a pas retrouvé son adresse, de la même manière Paul Vecchiali parcourt tout son film Le Cancre à la recherche de Catherine Deneuve.

Françoise Rosay ouvre le bal, elle est Madame Davié qui vit seule avec sa bonne. Cette dernière ouvre la porte à Christine qui veut voir Georges, la bonne déclare qu'il est mort et que sa patronne a perdu la tête. Georges s'est suicidé quelques semaines après ce bal quand il reçut une lettre de Christine annonçant son mariage imminent. Depuis, sa mère nie la mort de Georges. Christine, dès ce premier épisode et jusqu'au dernier, comprend les ravages qu'elle a causé auprès de tous ces soupirants après les avoir éconduits.

Julien Duvivier ne se contente pas de raconter quelques histoires, il évoque des sujets qui alors n'étaient pas communs. Le suicide avec cet épisode de Georges, l'avortement avec celui de Thierry Raynal joué avec intensité par Pierre Blanchar, dans le cabaret tenu par Pierre Verdier (Louis Jouvet) certaines danseuses sont seins nus. Les personnages sont volontiers négatifs, celui de Louis Jouvet, gangster aux mauvaises manières, celui du beau-fils de Raimu qui le fait chanter, celui de Pierre Blanchar qui ressemble à un personnage de David Cronenberg.

Avec tous ces acteurs et leurs égos démesurés (il y a tout de même Harry Baur et Raimu dans un même film, mais ils ne se rencontrent jamais), il a sans aucun doute fallu négocier difficilement pour la durée de chaque épisode, celui de Pierre-Richard Willm est le plus court, dans les montagnes de Val d'Isère. Celui de Raimu, maire d'un patelin du Var est le plus croustillant, l'acteur s'en donne à cœur joie dans son duo avec sa bonne Cécile (Milly Mathis), bonne femme ronde qu'il doit épouser. Ils s'engueulent joyeusement.

La force du film est de passer d'un ton à un autre, justement avec Raimu qui ne se contente pas de faire du Marcel Pagnol, comme lorsqu'il se confronte à son beau-fils. L'épisode final avec Fernandel est surprenant, l'acteur joue un coiffeur marseillais ravi de sa vie simple, de son mariage, de ses enfants, mais quand il annonce le prénom de son aînée, Christine comprend que lui non plus n'a rien oublié, l'enfant s'appelle elle aussi Christine. C'est avec Fernandel qu'elle reviendra sur les lieux de ce premier bal.

C'est sans doute la partie avec Pierre Blanchar qui est la plus impressionnante, pas seulement parce qu'il parle d'avortement, pratique illégale en 1937, mais pour son ambiance d'une noirceur totalement réaliste, pour ses jeux de regards. Justement son personnage est borgne, et ceux de sa compagne que joue Gaby sont torves, inquisiteurs. Dehors, des grues du port de Marseille martèle un son insupportable, dans l'appartement, Julien Duvivier filme chaque plan de manière oblique, penchée, accentuant encore plus le malaise général du film.

Les enfants sont évoqués dans plusieurs épisodes, Harry Baur incarne un curé qui recueille des orphelins ou des malheureux, ceux de Fernandel, le beau-fils de Raimu, le fils de Françoise Rosay, la profession de Pierre Blanchar. C'est que Christine, elle, n'a jamais eu d'enfant et quand elle trouve enfin ce Gérard si convoité, celui qui avait sa préférence dans son carnet de bal. Elle apprend qu'il a laissé un fils, désormais orphelin, que joue Robert Lynen (il a été Poil de carotte pour Julien Duvivier), elle l'adoptera et fermera son carnet à jamais.































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