Veuve
après quinze ans de mariage, Christine Surgere (Marie Bell) retourne
dans l'immense villa au bord d'un lac en Italie. Tandis qu'elle range
les affaires, papiers, vêtements de feu son époux, elle tombe sur
son carnet de bal. Elle avait 16 ans, c'était en 1919, elle en avait
des prétendants. Elle s'allonge sur un divan et songe à ce bal, à
ces belles robes blanches des demoiselles, au beaux costumes noirs
des messieurs. A son réveil, elle se demande ce qu'ont bien pu
devenir tous ces soupirants d'un soir dont elle a une soudaine
nostalgie.
L'un
de ses amis parvient à retrouver les adresses de la plupart de ces
10 hommes qui lui avaient accordé une danse. Plutôt que de rien
faire, elle décide de partir à leur rencontre, à moins que tout Un
carnet de bal ne soit qu'une longue rêverie où elle irait leur
rendre visite. C'est en voyant Le Cancre, qui assume la
filiation avec le film de Julien Duvivier, que j'ai eu envie de me
replonger dans ce long Un carnet de bal, une suite d'épisodes
(cela convient mieux que sketches) aux tons variés, mélodrame, film
noir, comédie, tragédie.
C'est
l'occasion de faire jouer les acteurs et actrices parmi les plus
connus de 1937 et de traverser la France, de Paris à Marseille en
passant par les Alpes, des gens fortunés aux indigents. Elle dira en
fin de film après avoir discuté avec tous ceux qui sont encore
vivants qu'ils ont tous renié leur jeunesse. Parmi tous les hommes
de ce bal, seul l'un d'eux, Gérard, semble n'avoir laissé aucune
trace, l'ami de Christine n'a pas retrouvé son adresse, de la même
manière Paul Vecchiali parcourt tout son film Le Cancre à la
recherche de Catherine Deneuve.
Françoise
Rosay ouvre le bal, elle est Madame Davié qui vit seule avec sa
bonne. Cette dernière ouvre la porte à Christine qui veut voir
Georges, la bonne déclare qu'il est mort et que sa patronne a perdu
la tête. Georges s'est suicidé quelques semaines après ce bal
quand il reçut une lettre de Christine annonçant son mariage
imminent. Depuis, sa mère nie la mort de Georges. Christine, dès ce
premier épisode et jusqu'au dernier, comprend les ravages qu'elle a
causé auprès de tous ces soupirants après les avoir éconduits.
Julien
Duvivier ne se contente pas de raconter quelques histoires, il évoque
des sujets qui alors n'étaient pas communs. Le suicide avec cet
épisode de Georges, l'avortement avec celui de Thierry Raynal joué
avec intensité par Pierre Blanchar, dans le cabaret tenu par Pierre
Verdier (Louis Jouvet) certaines danseuses sont seins nus. Les
personnages sont volontiers négatifs, celui de Louis Jouvet,
gangster aux mauvaises manières, celui du beau-fils de Raimu qui le
fait chanter, celui de Pierre Blanchar qui ressemble à un personnage
de David Cronenberg.
Avec
tous ces acteurs et leurs égos démesurés (il y a tout de même
Harry Baur et Raimu dans un même film, mais ils ne se rencontrent
jamais), il a sans aucun doute fallu négocier difficilement pour la
durée de chaque épisode, celui de Pierre-Richard Willm est le plus
court, dans les montagnes de Val d'Isère. Celui de Raimu, maire d'un
patelin du Var est le plus croustillant, l'acteur s'en donne à cœur
joie dans son duo avec sa bonne Cécile (Milly Mathis), bonne femme
ronde qu'il doit épouser. Ils s'engueulent joyeusement.
La
force du film est de passer d'un ton à un autre, justement avec
Raimu qui ne se contente pas de faire du Marcel Pagnol, comme
lorsqu'il se confronte à son beau-fils. L'épisode final avec
Fernandel est surprenant, l'acteur joue un coiffeur marseillais ravi
de sa vie simple, de son mariage, de ses enfants, mais quand il
annonce le prénom de son aînée, Christine comprend que lui non
plus n'a rien oublié, l'enfant s'appelle elle aussi Christine. C'est
avec Fernandel qu'elle reviendra sur les lieux de ce premier bal.
C'est
sans doute la partie avec Pierre Blanchar qui est la plus
impressionnante, pas seulement parce qu'il parle d'avortement,
pratique illégale en 1937, mais pour son ambiance d'une noirceur
totalement réaliste, pour ses jeux de regards. Justement son
personnage est borgne, et ceux de sa compagne que joue Gaby sont
torves, inquisiteurs. Dehors, des grues du port de Marseille martèle
un son insupportable, dans l'appartement, Julien Duvivier filme
chaque plan de manière oblique, penchée, accentuant encore plus le
malaise général du film.
Les
enfants sont évoqués dans plusieurs épisodes, Harry Baur incarne
un curé qui recueille des orphelins ou des malheureux, ceux de
Fernandel, le beau-fils de Raimu, le fils de Françoise Rosay, la
profession de Pierre Blanchar. C'est que Christine, elle, n'a jamais
eu d'enfant et quand elle trouve enfin ce Gérard si convoité, celui
qui avait sa préférence dans son carnet de bal. Elle apprend qu'il
a laissé un fils, désormais orphelin, que joue Robert Lynen (il a
été Poil de carotte pour Julien Duvivier), elle l'adoptera
et fermera son carnet à jamais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire