Dans
cette réalité, William Lee (Peter Weller), double littéraire de
Willam S. Burroughs, dans ce New York de 1953 reconstitué
entièrement en studio dont on ne voit que les intérieurs, est un
exterminateur, frappant aux portes des appartements et aspergeant
avec sa sulfateuse les recoins pour éliminer les cafards. Avec son
costume marron, son chapeau, sa cravate et ses lunettes d'intello,
William se démarque de ses collègues exterminateurs. Dans une vie
précédente, il était écrivain et ses deux amis Hank et Martin
(Nicholas Campbell et Michael Zelniker), également écrivains, sont
plus proches de lui du strict point de vue vestimentaire.
Ils
tentent de ramener William, qu'ils rencontrent dans un café
restaurant après son labeur, sur le chemin de la littérature. Mais
notre homme n'en démord pas, l'écriture est derrière lui,
désormais il consacre sa vie à tuer des insectes. Seulement voilà,
lors de cette mission qui ouvre Le Festin nu, il tombe en rade
de poudre à exterminer. Son patron Hauser (John Friesen) et ses
collègues savent pertinemment où la poudre de la sulfateuse de
William Lee passe : dans une seringue. Et cette seringue est
dans le bras de Joan Lee (Judy Davis), son épouse. Elle se pique
pour rentrer dans une autre réalité et invite son mari à la
rejoindre, ce qu'il fait après avoir protesté mollement.
Cette
réalité que crée la poudre anti cafard s'appelle l'Interzone.
David Cronenberg aime donner des noms aux contrées que le cerveau de
ses personnages partent explorer, le Videodrome ou eXistenZ.
Pour accéder plus vite à l'Interzone, le bon docteur Benway (Roy
Scheider) donne à William Lee un flacon de poudre noire. Cette
substance est composée de centipède, une sorte de mille-patte,
écrabouillé, séché et concassé. Les pouvoirs de cette drogue
sont tellement puissants que William tue Joan en jouant à
« Guillaume Tell » dans leur cuisine, la balle se loge
dans le crâne de l'épouse, l'occasion pour l'exterminateur de fuir
totalement New York et de se réfugier dans L'interzone.
C'est
dans une ville qui ressemble à l'Afrique du Nord qu'il se rend, avec
une machine à écrire Clark-Nova pour faire des rapports. Le
Festin nu avait commencé avec deux cafards qui se promenaient,
il continue avec d'autres insectes aussi peu ragoutant. Cette ville
regorge de centipèdes, ceux de l'usine à drogue de Hans (Robert A.
Sullivan), personnage étrange comme l'acteur sait si bien en jouer,
qu'il fait visiter à William, non sans précaution. C'est le
pendentif du jeune Kiki (Joseph Scorsiani), giton qui traîne dans
les cafés et qui présente à William le Mugwump, créature hybride
qui sirote tranquillement un cocktail au comptoir et discute avec
lui.
Fruit
de son imagination ou délire de toxico, là n'est pas la question.
Ce qui importe est que ces bestioles vont diriger la vie sexuelle de
William Lee. Le Mugwump devient machine à écrire qui éjacule dès
que William Lee écrit un texte plaisant. La Clark-Nova devient un
coléoptère de grande taille et s'exprime par un orifice qui
ressemble à un anus. Elle dicte son texte à William :
« l'homosexualité est la meilleure couverture qu'un agent
puisse avoir ». Une autre machine à écrire se transforme en
corps nu et se fait fouetter par Fadela (Monique Mercure) qui a
remplacé Hans dans l'entrepôt de fabrique de drogue.
Dans
l'Interzone de cette Afrique du Nord, William obéit à sa
Clark-Nova. Il va coucher avec des hommes. Le jeune Kiki tout
d'abord, au regard si doux. Puis, un dandy suisse nommé Yves Cloquet
(Julian Sands), tout habillé de blanc et au regard si pénétrant et
intriguant. Il rencontre Tom Frost (Ian Holm), vieil écrivain (c'est
lui qui prêtera à William sa machine à écrire qui sera bouffée
par la Clark-Nova), amateur de jeunes hommes. William ne couchera pas
avec Tom mais sera intéressé par son épouse Joan (Judy Davis), qui
ressemble comme deux gouttes d'eau à feue son épouse. Joan Frost
est l'esclave sexuelle de l'énigmatique Fadela.
Dans
cette illusion de chaos narratif plein de drogues, de métaphores
sexuelles, de personnages interlopes, ce qui reste constant est le
regard de William Lee, toujours étonné de ce qui lui arrive quand
tous les autres semblent nager en pleine cohérence et surpris qu'il
soit étonné. Ce chaos s'exprime par les accords de jazz d'Ornette
Coleman, virevoltants et abrupts, par la couleur glauque des décors
(un mélange de bleu et vert) où son costume marron se détache,
marque de fabrique de David Cronenberg (le glauque atteindra son
paroxysme dans Crash, eXistenZ et Spider, j'en
reparlerai), dans lesquels se déplace le personnage de Peter Weller,
hagard, comme parfois le spectateur que je suis ravi d'être emmené
dans un voyage bizarre, dans une contrée étrange, dans cette
réalité irréelle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire