Le
héros cronenbergien a toujours été grand, au menton carré, les
yeux clairs et les cheveux abondants, mais dans Faux
semblants, c'est la première
fois qu'il porte une paire de lunettes qui est exactement comme celle
du cinéaste. Sur les photos de tournage, David Cronenberg à côté
de Jeremy Irons semble jouer le deuxième frère Mantle. Ça n'a
l'air de rien mais cela indique la place qu'occupait alors le
cinéaste, un pied totalement au Canada et dans le cinéma d'auteur,
un pied à Hollywood où il devait composer avec ses producteurs
effrayés par son imaginaire débordant.
En
guise de paire, il s'agit de deux paires de lunettes puisque Elliot
et Beverly Mantle sont jumeaux. Dans la première séquence, ils sont
enfants à Toronto en 1954, ils sont observés bizarrement par les
autres enfants. Déjà, ils s'enferment dans leur chambre pour
observer la « beauté intérieure » des corps.
Extra-terrestres aux yeux des autres (aucun autre personnage ne
portera de lunettes), c'est sans doute pour cela que l'un d'eux
s'appelle Elliot, comme l'enfant dans le film de Steven Spielberg (et
dans Elliot, il y a les lettres ET
comme disait un critique).
Une
seule séquence se déroule aux USA, à l'université du
Massachusetts en 1967 quand les Mantle reçoivent leur diplôme pour
revenir en 1988 à Toronto où ils sont devenus gynécologistes. Ils
travaillent et vivent ensemble mais désormais Elliot ne porte plus
de lunettes, sauf lorsqu'il doit remplacer Beverly, plus timide,
moins à l'aise avec les gens de l'extérieur. Ainsi quand les deux
frères donnent une conférence, c'est Elliot qui monte à la tribune
et donne un discours à ses confrères médecins.
« Beverly,
c'est un prénom de fille » dira Claire Niveau (Geneviève
Bujold), « Non, l'orthographe est différente ». Claire,
actrice célèbre, consulte chez les célèbres gynécologistes
Mantle pour évaluer son infertilité. Elle ignore qu'ils sont
jumeaux. Elliot couche avec elle (en portant les lunettes) puis
incite Beverly à faire de même. Un jour, une amie de Claire lui
annonce qu'elle a couché avec les deux frères et que tout le monde
est au courant. Elle les confronte dans un restaurant où elle
balance un verre à la tronche d'Elliot.
La
transformation des jumeaux passe par les médicaments de Claire que
Beverly, qui devient son amant officiel, ingurgite jusqu'à plus
soif. Cette transformation est invisible, en tout cas elle ne passe
pas par une métamorphose du corps (Videodrome,
La Mouche),
des pouvoirs surnaturels (Scanners,
Dead zone).
Certes, Jeremy Irons joue l'addiction aux médicaments avec
fébrilité, avec des regards tendus, des crises d'angoisse, des
tremblements de main mais c'est sa vision du monde qui se modifie
radicalement.
Il
espérait un concours de « beauté intérieure » comme il
existe des concours de Miss. Cet intérieur du corps, il est
finalement rarement directement visible dans Faux
semblants. Lors d'une
opération de démonstration, quand Beverly et ses assistants
revêtent ces blouses rouge sang, David Cronenberg ne filme pas
frontalement les entrailles mais l'écran sur laquelle la vidéo de
l'opération est diffusée, comme une performance artistique, de
l'art contemporain auquel le public, des scientifiques, ne
comprennent rien.
Beverly
voit les vagins des femmes, leur intérieur, comme mutants. Quand
germe l'idée délirante de créer des instruments de gynécologie,
montrés dès le générique d'ouverture, Beverly part engager un
artiste contemporain, pas un laboratoire. L'artiste déclare qu'il
trouve les plans très beaux, ces instruments aux formes arrondies,
en ovale, avec des crocs doivent servir à opérer les femmes
mutantes. C'est que Beverly explique au sculpteur qui s'emparera de
ces objets pour en faire des objets d'art, provoquant une colère
sourde du médecin qui veut opérer avec.
Il
se réfugie dans un monde clos, circonscrit par les murs de
l'appartement qu'il ne quitte plus et dans lequel il va attirer
Elliot. J'aime beaucoup comment David Cronenberg filme la
transformation de ce vaste appartement, d'abord du palier sans ne
rien laisser soupçonner (le livreur qui passe), puis de l'intérieur
avec un fourbi délirant, un désordre similaire à leur état
d'esprit, enfin les deux frères désormais à nouveau raccords
déambulent en caleçon à l'intérieur d'eux-mêmes, devenus des
mutants inadaptés au monde extérieur qu'ils ne peuvent plus
visiter.
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