Sa
frange lui tombe presque sur les yeux et son commandant lui demande
pourquoi il ne la coupe pas. Avec un fin sourire, il répond que
c'est une promesse. Ce jeune homme qui rentre dans une prestigieuse
milice de samouraï à Kyoto en 1865 s'appelle Sozaburo Kano (Ruyhei
Matsuda). C'est un fils de commerçant, cela est largement souligné
par ses employeurs, comme pour rappeler sa basse condition sociale.
Habillé tout en blanc, avec donc ses longs cheveux noirs, il passe
un examen pour se faire engager. Il doit se battre contre le
lieutenant Soji Okita (Shinji Takeda). Il y a une bonne douzaines de
candidats, parmi eux un autre jeune homme à l'allure bien plus
virile, barbe, poils sur le torse, cheveux courts, c'est Hyozo
Tashiro (Tadanobu Asano), habillé de couleur sombre. Totalement
opposés, ils seront tous les deux choisis pour devenir samouraï.
Cette
épreuve est filmée par Nagisa Oshima comme un rituel, assis au fond
les maîtres samouraï observent les apprentis au centre de la salle.
Les mouvements sont immuables mais les propos entre Hijikata (Takeshi
Kitano) et le commandant Kondo (Yoichi Sai) sont inhabituels. Une
voix off (celle de Hijikata mais dite par Kai Sato) scrute les
regards entre tous ces hommes. Les yeux de Kondo semblent fascinés
par Kano. Et ce dernier se voit charger d'une nouvelle épreuve, là
encore un rituel immuable, trancher la tête d'un condamné. Nagisa
Oshima va droit au but, le bâton qui servait à se battre est
remplacé par un sabre et, une fois l'homme décapité, du sang gicle
telle une éjaculation. Les symboles phalliques et sexuels sont si
nombreux, les allusions à la beauté de Kano sont précisées et les
hommes qui admirent cette beauté ne laissent aucun sous-entendu, le
jeune samouraï est comme le personnage de Terence Stamp dans
Théorème, il va attirer tous les hommes.
« Notre
milice doit réprimer les révoltes » clame Hijikata et les
règles de vie de la milice sont clairement énoncées, mais Tabou ne
se soucie pas de montrer la répression d'éventuelles révoltes, il
se consacre au désir que les samouraï ne peuvent pas réprimer.
« As-tu déjà tué un homme ? As-tu déjà fait
l'amour ? » demande sans ambages Tashiro au jeune homme,
une main sur son épaule, et leur corps se frôlent dans la chambrée
où tous les samouraï sont entassés. Tout le monde pense, et
Hijikata le premier, que Tashiro et Kano sont amants. Pourtant face à
la beauté de Tashiro sublimée par son sourire et sa voix suave,
Kano couche avec Yuzawa (Tomoro Taguchi), incarnation de la
médiocrité. Plutôt que de coucher, il faudrait dire que Kano est
violé par Yuzawa, tant ce dernier abuse de son ascendance sur la
nouvelle recrue. Yuzawa est assassiné, une nuit, dans la rue. Il
s'agit pour Kondo et Hijikata d'enquêter sur ce meurtre, même s'il
les arrange un peu.
Tabou
n'est pas dénué d'humour, comme avec le personnage de Genzabouro
Inoue (Jiro Sakagami), l'un des lieutenant des samouraï mais un
balourd, contrairement aux autres chefs, et c'est à lui qu'est
confié la difficile tâche de convaincre Kano d'enfin coucher avec
une femme. Avec une notable absence de délicatesse et de tact, il va
aller engager une geisha très renommée (les seules femmes dans
Tabou sont des geishas ou les tenancières des maisons
closes), qui avancera le soir du rendez-vous également dans un
rituel immuable. Le rendez-vous se soldera par un bel échec, Kano
s'est violemment rebellé contre la geisha et les autres femmes.
Inoue se croit plus malin que tous les autres quand il pense pouvoir
mener l'enquête avec Kano et poursuivre les deux meurtriers (des
samouraï d'une milice ennemie), c'est dans ces moments que le film
prend des tours plus légèrement comiques (le scène de l'échelle
et ses cinq lanternes).
L'enquête
est cependant confiée à l'inspecteur Yamazaki (Masa Tommies), c'est
Hijikata qui se charge de raconter que Kano a fait tourné toutes les
têtes, qu'il pense qu'il est l'amant de Tashiro et le que le
commandant Kondo est sans doute amoureux de lui. Mais en vérité,
Kano l'avouera avec un regard droit et perçant, il est follement
amoureux de Yamazaki. Parfois, le film semble prendre l'allure et les
dialogues d'un soap opera tant ces romances et amourettes semblent
inextricables. Seul Soji, celui qui avait tenu le bâton contre
Tashiro et Kano, affirme les détester tous les deux. A la fin de
toutes ces amours contrariées et vaines, Nagisa Oshima offre une
séquence magnifique, comme un testament à son cinéma pour son
dernier film, dans une brume nocturne qui s'épanouit dans le
fantastique, un peu comme il le faisait dans L'Empire de la
passion, où une dernière fois les hommes vont s'affronter avec
leur sabre dans une ultime bataille sexuelle métaphorique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire