Le
film de Hong Kong est devenu depuis quelques années une denrée très
rare dans nos salles de cinéma. Depuis Life without principle
en 2012, du même Johnnie To, on a pu voir The Grandmaster de
Wong Kar-wai, Young Detective Dee et La Bataille de la
montagne du Tigre, tous deux de Tsui Hark ou The Assassin
de Hou Hsiao-hsien, ces quatre films étant des co-productions entre
Hong Kong, la Chine continentale ou Taïwan. Et quelques films sortis
directement en DVD. C'est une grosse surprise de voir débarquer dans
quelques salles (pas beaucoup en vérité) Office, sorti en
octobre 2015 à Hong Kong.
Il
se produit toujours une bonne trentaine de films à Hong Kong mais
rien n'arrive jusqu'ici. Faut comprendre, on est trop cons pour
comprendre les subtilités locales sans doute. Même le Festival de
Cannes n'essaie plus de regarder ce qui sort là-bas, c'est vrai
quoi, personne ne connaît les stars locales. Justement dans Office,
Chow Yun-fat fait son grand retour chez Johnnie To. Il avait tourné
avec lui et Sylvia Chang (scénariste et actrice principale de
Office) deux films, All about Ah Long (1989, sublime
mélo) et The Fun the luck and the tycoon (1990, comédie
loufoque), tous deux oubliés de la rétrospective de la Cinémathèque
Française en 2008.
Office
est l'adaptation d'une comédie musicale créée par Sylvia Chang qui
incarne ici Winnie Chang, femme d'affaires (cheveux courts, tailleur
sur mesure, broche en pierres précieuses, chaussures de marque).
Elle règne sur ses employés telle une impératrice avec son patron
Ho Chun-ping (Chow Yun-fat), dont l'épouse est tombée dans le coma.
Quand Monsieur Ho arrive aux bureaux, c'est le branle bas de combat,
tous les employés se courbent, le saluent avec obséquiosité et
déférence avant qu'il ne prodigue ses conseils, tel un général,
pour conquérir de nouveaux marchés et faire de nouvelles
acquisitions.
Parmi
les nouveaux soldats de l'entreprise, deux jeunes employés qui
débarquent dans la cohue la plus totale. Elle s'appelle Kat (Lang
Yue-ting), il s'appelle Lee Xiang (Wang Ziyi), elle a droit de
prendre l'ascenseur toute seule, il doit faire la queue dans le hall.
Quand il se présente, avec un sourire un peu crétin, il sort la
même formule à chacun « je m'appelle Lee Xiang, Lee comme Ang
Lee, Xiang comme le mot doux ». Elle ne dira rien de sa
vie à son superviseur David (Eason Chan) quand il leur demande de se
présenter. Elle est la fille de Monsieur Ho Chun-ping, mais elle est
ici incognito et doit accomplir son stage sans privilège.
L'entreprise
est en ébullition, il est prévu d'acquérir une marque de
cosmétiques américaine, la firme « Madame » et de
rentrer en bourse. Tout se commence en 2007, quelques mois avant la
crise économique et la chute de la banque Lehman. Les comptes sont
truqués et la comptable, Sophie Lu (Tang Wei) se prend quelques
coups de stress. Pour l'instant tout va bien, nos deux jeunes
employés doivent apprendre par cœur quelles boissons les cadres
vont boire lors de la réunion quotidienne, et Lee Xiang est le plus
fortiche pour retenir ces petits détails qui pourront faire que
David ou Madame Chang le notent comme il faut.
La
première heure de Office ne parle que d'argent. Mieux, elle
ne chante que d'argent. Car comme je l'écrivais plus haut, le film
est tiré d'une comédie musicale. Donc, tout le monde chante et
danse (un peu) dans ce décor unique composé d'escaliers, de
couloirs, de terrasses surmontés de longues barres de néons qui
change de couleurs suivant la pièce censée être représentée.
Cela donne un effet fort original et parfois déconcertant, unique
dans le cinéma de Johnnie To, une sorte de déréalisation de cet
univers où certains personnages ont perdu tout sens commun. Bon,
faut l'avouer, le scénario n'est pas toujours très simple à
suivre.
Au
milieu du décor, deux immenses horloges. L'une blanche pour marquer
que l'on n'est pas dans l'entreprise : dans l'appartement de Lee
Xiang, à l'hôpital, au bar. L'autre est encore plus grande, on en
voit le mécanisme intérieure. Deux messages sont clairement donnés
par Johnnie To. D'abord que « le temps c'est de l'argent »,
et on entend le tic-tac de l'horloge au fur et à mesure que la crise
arrive inéluctablement à Hong Kong. L'autre est tout simplement de
montrer les mécanismes, l'envers du décor d'une entreprise
gangrenée par l'appât du gain et l'argent facile, par les rapports
hiérarchiques complexes et ancestraux et bien entendu par l'amour.
En
effet, dans la deuxième heure, une fois le décor bien planté (je
ne saurais dire mieux), ce sont les relations entre les personnages
qui sont mises en avant. Lee Xiang cherche à savoir qui est Kat,
elle lui plaît bien. Madame Chang est la maîtresse de Monsieur Ho
mais elle est courtisée par David Chang. Ce dernier a aussi un coup
de foudre pour Sophie qui vit mal sa relation à longue distance avec
son petit ami parti en Chine continentale. Tout le monde chante en
cantonais (Eason Chan est le meilleur), quel plaisir pour moi de voir
un film en cantonais au cinéma. Je suis bien content et c'est
tellement mieux que La La Land.
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