Je
n'ai pas beaucoup de souvenirs des actions d'Act Up quand elles
avaient lieu au début des années 1990, il y a 25 ans période du
récit foisonnant de 120 battements par minute. Et
je n'ai même pas de souvenirs cinématographiques où l'on parlerait
d'Act Up, si ce n'est dans Zero
patience dans une
séquence où l'association vient fustiger la politique d'un musée
et changer l'histoire officielle (celle écrite par les élites) pour
l'histoire racontée par les victimes et les activistes. C'est à
cela que s'emploie le film de Robin Campillo, transformer le point de
vue donnée par la presse ou les politiques de 1991 sur l'association
militante : violence, d'actions brutales, de militantisme
radical.
Le
point de vue sera celui d'une jeune recrue, Nathan (Arnaud Valois)
assis au milieu d'un amphithéâtre sans fenêtre, jeune homme à qui
il va falloir tout apprendre. Justement une membre d'Act Up explique
tout le fonctionnement de la prise de parole, elle commence à
expliquer quelle sera la mise en scène des RH, pour réunion
hebdomadaire. Comment on demande la parole, comment on ne coupe pas
celui qui est en train de s'exprimer, comment on applaudit en
claquant des doigts, et surtout, faire court. Les scènes de RH,
filmées en mode très documentées, sont ce qu'il y a de plus vif et
pénétrant dans 120
battements par minute.
La parole étant dite, il s'agit ensuite de mettre en action ce qui a
été décidé dans cet amphithéâtre.
Le
film commence justement par les coulisses d'un lancer de sang lors
d'un colloque sur le Sida. Tapis dans le noir, derrière un rideau,
les militants sont prêts à intervenir. La scène est coupée avec
celles de présentation des RH. Le film fonctionne chaque fois sur un
schéma similaire : débats démocratiques en RH, mise en action
(jet de sang dans un labo blanc, manifestations dans la rue ou défilé
de gay pride) puis grosse soirée en boîte techno pour décompresser.
J'ai eu peur du côté Maïwenn Polisse
mais Robin Campillo parvient à désamorcer cet aspect factice avec
une longue métaphore sur la poussière de la boîte qui se
transforme en cellule du virus vue d'un microscope. Fallait oser le
faire, il parvient à évoquer ce danger qui plane avec subtilité.
Robin
Campillo ne change pas sa méthode d'introduction par rapport à
Eastern boys.
Déjà il filmait Olivier Rabourdin observant de loin ce groupe de
jeune russes avec lequel il allait passer tout le reste du film (de
durée similaire à 120
battements par minute)
avant de se focaliser sur une histoire d'amour individuelle. Ces RH
permettent ainsi de distinguer parmi la foule quelques personnages,
il vaudrait mieux parler de silhouettes animées, que le cinéaste
choisit de ne faire exister qu'au travers de leur parole et discours.
Leur inexistence n'est qu'un moyen de créer quelques motifs
narratifs (les disputes entre eux, la mort de l'un d'eux) et de
s'axer sur une romance entre Nathan et Sean (Nahuel Perez Biscayart),
sous le regard de Thibault (Antoine Reinhartz) qui tente aussi de
séduire Nathan.
La
rivalité entre Thibault et Sean est très vite passée à l'as.
Dommage. Pour se concentrer sur l'histoire d'amour, profonde, pure et
réciproque entre Sean et Nathan. Mais c'est un parcours du
combattant qui s'offre à eux, la figure de Sean est dédiée au
martyr qu'il va vivre, une victime expiatoire du Sida. Filmer la mort
au travail est l'une des prérogatives du cinéma, prendre un acteur,
faire croire qu'il est malade, qu'il va mourir d'ici la fin du film,
c'est fatal, demande du tact, du génie, mais Robin Campillo filme
les taches, les regards lourds, la solitude en gros plan, appuyant là
où ça fait mal, remuant le couteau dans la plaie. Cette douleur
doit créer chez le spectateur de l'émotion, coûte que coûte, il
faut absolument y croire. Je suis resté relativement rétif à cette
émotion.
Il
s'agit pour Robin Campillo d'écrire l'histoire des premiers malades
du Sida, de l'incurie de l'état, de l'absence de morale des firmes
pharmaceutiques. Impossible de lui reprocher de ne pas donner la
parole à l'adversaire, le film n'est pas un débat contradictoire
(heureusement d'ailleurs, laissons ça aux films de procès
hollywoodiens), mais le film a du mal à se départir d'un certain
« catéchisme », comme dans la grande scène finale avec
tous les personnages secondaires d'Act Up qui entrent dans la chambre
de Sean, une chambre aux lumières presque éteinte, ils viennent
entourer Sean et Nathan dans une forme de pietà particulièrement
doloriste. Le sujet exige sans aucun doute cela et a valu au film un
Grand Prix au Festival de Cannes, une presse élogieuse et un succès
public.
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