Le
Journal d'une femme de chambre est un film particulier dans ma
cinéphilie. Il marque une étape cruciale, c'était la première
fois que j'allais voir un film au Centre Culturel Cinématographique,
le ciné-club de Grenoble et j'y suis resté 10 ans, à la fois comme
animateur et comme administrateur. C'était, en 1996, une période où
je développais ma connaissance du cinéma de Luis Buñuel et ma
cinéphilie en général. Les deux autres versions, celle de Jean
Renoir tournée en 1946 aux Etats-Unis et celle de Benoît Jacquot en
2015 sont également magnifiques. Le Journal d'une femme de
chambre a été programmé sur Arte en hommage à Jeanne Moreau,
lors de son décès le 31 juillet.
J'avoue
ne pas bien connaître les films qu'elle a tourné avec Louis Malle
(Les Amants, Ascenseur pour l’échafaud, je les ai
vus il y a bien trop longtemps). Le lendemain, France 3 a diffusé
Viva Maria, western mexicain qui tente la loufoquerie avec
Brigitte Bardot comme partenaire. L'humour est souvent poussif, mais
c'est étonnant de voir avec quel sérieux Louis Malle cherchait à
faire une comédie d'aventure légère. On a aussi pu voir Jules
et Jim de François Truffaut. Finalement le seul cinéaste de la
Nouvelle Vague avec qui elle ait tourné, j'aime peu le film mais je
trouve très beau la séquence où elle feint d'être une mannequin
modèle et où le cinéaste fait de son visage resplendissant des
images fixes, comme si le temps s'arrêtait sur elle.
Chez
Jean-Luc Godard, elle ne fait qu'une courte apparition dans Une
femme est une femme. A Jean-Paul Belmondo qui lui demande
« Comment ça va ? », elle répond « Moderato »,
manière de rappeler qu'elle venait de tourner Moderato cantabile
d'après Marguerite Duras. L'un des rares films de Marguerite Duras
que j'aime est Nathalie Granger, filmé en 1972 avec Lucia
Bosé, le film le plus classique de l'écrivaine (comprendre :
celui où elle déploie un récit linéaire basé sur une histoire).
On peut y voir Gérard Depardieu tout gamin, son premier rôle, qui
déboule dans la maison des deux femmes tel un diable sorti de sa
boîte. Je me rappelle aussi l'avoir vu dans le film de
science-fiction de Wim Wenders en 1991, Jusqu'au bout du monde,
étrangeté de 3 heures où elle perdait la vue.
Entre
le veuve dépressive de la fin des Valseuses de Bertrand
Blier, un second rôle dur où elle arbore un visage totalement fermé
et Le Miraculé de Jean-Pierre Mocky, comédie où elle ne
cesse jamais de sourire entre Jean Poiret et Michel Serrault dans un
rôle d'ancienne pute devenue bigote, Jeanne Moreau prouve la variété
de ses compositions mais une chose demeure chaque fois, sa voix de
plus en plus rauque, de plus en plus enfumée, mais toujours,
toujours ce sourire bienveillant. Tiens, dans cette période Jeanne
Moreau a épousé William Friedkin. Elle avait raconté qu'il voulait
qu'elle abandonne le cinéma (elle n'a fait aucun film à cette
époque), qu'elle devienne une femme au foyer, la bonne blague, le
mariage n'a pas duré.
Comme
toutes les actrices dans Le Procès, elle ne fait qu'un petit
second rôle, mais elle est plus présente dans Falstaff,
l'un des plus beaux films d'Orson Welles, au montage fulgurant et
virevoltant. A côté du cinéaste grimé en gentil ogre hirsute et
barbu dans le rôle éponyme, Jeanne Moreau est toute menue, un être
frêle mais au tempérament de feu qui houspille le bon gros Falstaff
dans l'auberge. C'était finalement dans ses années 1960 qu'elle a
interprété ses plus jolis personnages. La dernière fois que j'ai
vu Jeanne Moreau au cinéma, c'était en 2012 dans Gebo et l'ombre
de Manoel de Oliveira au côté de Claudia Cardinale et Michael
Lonsdale, tous les trois étaient assis pour déclamer leur texte.
C'était un peu triste. J'aimerais beaucoup voir les deux films
qu'elle a mis en scène, Lumière et L'Adolescente.
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