La
Huitième femme de Barbe-bleue est mon film préféré d'Ernst
Lubitsch, son chef d’œuvre de la comédie sophistiquée située en
France, summum du glamour pour un spectateur Américain, tout d'abord
à Nice, sur la Riviera puis à Paris où les deux personnages
principaux, Michael Brandon (Gary Cooper) et Nicole de Loiselle
(Claudette Colbert) vivent leur vie matrimoniale mouvementée. La
Huitième femme de Barbe-bleue est la plus grande et la plus
brillante des comédies du mariage des années 1930. Le récit est
scindé en deux parties, avant le mariage et après la mariage et
chaque partie en deux chapitres autour d'un objet jusqu'à
l'épilogue.
Premier
objet : le pyjama. Tout commence dans un grand magasin. Un
vendeur suit comme un toutou le client qu'est Michael Brandon. On ne
sait pas encore qui il est. Le vendeur, obséquieux au possible
propose tous les objets qui se trouvent sur le parcours entre
l'entrée et le rayon où se dirige Brandon. Cravate, parfum, la
vendeur est un insupportable moulin à parole que Brandon peine à
interrompre. Il a un regard noir, une parole cassante, tout ce qu'il
veut c'est un pyjama. 200 francs, lui dit le vendeur. Il donne 100
francs, car il ne veut que la veste de pyjama. Le vendeur reste
interloqué et ne peut pas répondre.
L’enchaînement
des répliques, la différence de rythme entre le vendeur et
l'Américain exigeant et qui n'aime pas attendre fournissent les
premiers gags du film. Les deux pauvres vendeurs se consultent, n'ont
jamais eu affaire avec un homme pareil. Vendre uniquement une partie
du pyjama, cela ne s'est jamais vu. La caméra suit le vendeur qui
grimpe voir son chef, sans qu'on entende les dialogues, il explique
la situation, le chef va voir le directeur adjoint qui téléphone au
directeur qui se trouve dans son lit et qui, ultime gag de la
séquence enchaînée à toute allure, ne porte qu'une veste de
pyjama.
Deuxième
objet : la baignoire. Quelqu'un va acheter le pantalon de pyjama
que ne veut pas Brandon. Nicole est une petite bonne femme. Elle
l'achète pour son père, le marquis de Loiselle (Edward Everett
Horton), un soi-disant homme d'affaires. Totalement désargenté, il
se voit demander de déguerpir de la suite qu'il ne peut plus payer
dans le palace de Nice. C'est cette suite que veut louer Brandon.
Mais quand il comprend que le marquis est le père de Nicole grâce
au pantalon de pyjama, qu'il porte. Brandon l'appelle déjà
beau-papa et annonce qu'il va épouser sa fille.
Le
marquis a besoin d'argent, le sujet principal de La Huitième
femme de Barbe-bleue. Au milieu de la suite traîne une baignoire
d'un mauvais goût évident et que Loiselle affirme avoir été la
possession de Louis XIV. Brandon ignore qui est Louis XIV mais il
accepte d'acheter cet objet hideux pensant séduire Nicole. La
demoiselle lui résiste et la baignoire fait des allers-retours entre
les suites. Et Brandon poursuit Nicole sur la plage. Albert (David
Niven), un ami de cette dernière s'avère être l'employé de
Brandon qui sait tout sur tout le monde, avec l'arrogance de
l'Américain conquérant.
Troisième
objet : le livre. Michael Brandon a du mal à dormir. Nicole lui
donne un judicieux conseil pour s'endormir, bien meilleur que compter
les moutons. Epeler à l'envers le mot Czechoslovakia. La
Tchécoslovaquie sera la destination de leur lune de miel. Quelle
n'est pas cependant la surprise de Nicole d'apprendre que son futur
époux a déjà été marié sept fois et divorcé six fois, l'une de
ses femmes est décédée. Tout le monde doit être rassuré, un
solide contrat de mariage est établi entre les deux époux.
Jamais
l'échec d'un mariage n'aura été montré avec une telle force
elliptique. Michael et Nicole (dont les prénoms riment en anglais)
passent de la plus grande joie à la plus profonde solitude. Ils font
appartement séparé immédiatement. Deux livres qu'ils achètent
témoignent de leur divergence. Nicole achète « Live alone and
like it » (vivre seule et aimer ça) et Michael lit « La
mégère apprivoisée » de Shakespeare, qu'il expérimente
immédiatement sur son épouse. Mais le cinéma, ça n'est pas comme
une pièce de théâtre.
Quatrième
objet : le verre de champagne. Reconquérir sa femme est
l'obsession de Michael Brandon qui engage un détective et qui va
tendre un piège à Nicole. Elle va se servir du détective pour
tendre à son tour un piège. Lui utilise du champagne pour la
soumettre, elle va embaucher un boxer. Et au milieu le pauvre Albert
qui arrivera, comme d'habitude, comme un éléphant dans un magasin
de porcelaine. La séquence de séduction alcoolisée est l'une des
plus drôles du film, et l'un des plus tristes également.
Cinquième
objet : la camisole. L'épilogue de La Huitième femme de
Barbe-bleue démontre combien les différences entre les femmes
et les hommes, l'argent et l'esprit (on est dans un asile), les
Françaises et les Américains sont insurmontables sauf au cinéma.
Ernst Lubitsch apporte la preuve en 80 minutes de dialogues hautement
spirituels et quatre objets que les femmes françaises ont bien plus
d'esprit que les businessmen américains. Elle l'a enfin apprivoisé,
ils peuvent commencer à être amoureux l'un de l'autre.
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