jeudi 23 juillet 2015

La Huitième femme de Barbe Bleue (Ernst Lubitsch, 1938)

La Huitième femme de Barbe-bleue est mon film préféré d'Ernst Lubitsch, son chef d’œuvre de la comédie sophistiquée située en France, summum du glamour pour un spectateur Américain, tout d'abord à Nice, sur la Riviera puis à Paris où les deux personnages principaux, Michael Brandon (Gary Cooper) et Nicole de Loiselle (Claudette Colbert) vivent leur vie matrimoniale mouvementée. La Huitième femme de Barbe-bleue est la plus grande et la plus brillante des comédies du mariage des années 1930. Le récit est scindé en deux parties, avant le mariage et après la mariage et chaque partie en deux chapitres autour d'un objet jusqu'à l'épilogue.

Premier objet : le pyjama. Tout commence dans un grand magasin. Un vendeur suit comme un toutou le client qu'est Michael Brandon. On ne sait pas encore qui il est. Le vendeur, obséquieux au possible propose tous les objets qui se trouvent sur le parcours entre l'entrée et le rayon où se dirige Brandon. Cravate, parfum, la vendeur est un insupportable moulin à parole que Brandon peine à interrompre. Il a un regard noir, une parole cassante, tout ce qu'il veut c'est un pyjama. 200 francs, lui dit le vendeur. Il donne 100 francs, car il ne veut que la veste de pyjama. Le vendeur reste interloqué et ne peut pas répondre.

L’enchaînement des répliques, la différence de rythme entre le vendeur et l'Américain exigeant et qui n'aime pas attendre fournissent les premiers gags du film. Les deux pauvres vendeurs se consultent, n'ont jamais eu affaire avec un homme pareil. Vendre uniquement une partie du pyjama, cela ne s'est jamais vu. La caméra suit le vendeur qui grimpe voir son chef, sans qu'on entende les dialogues, il explique la situation, le chef va voir le directeur adjoint qui téléphone au directeur qui se trouve dans son lit et qui, ultime gag de la séquence enchaînée à toute allure, ne porte qu'une veste de pyjama.

Deuxième objet : la baignoire. Quelqu'un va acheter le pantalon de pyjama que ne veut pas Brandon. Nicole est une petite bonne femme. Elle l'achète pour son père, le marquis de Loiselle (Edward Everett Horton), un soi-disant homme d'affaires. Totalement désargenté, il se voit demander de déguerpir de la suite qu'il ne peut plus payer dans le palace de Nice. C'est cette suite que veut louer Brandon. Mais quand il comprend que le marquis est le père de Nicole grâce au pantalon de pyjama, qu'il porte. Brandon l'appelle déjà beau-papa et annonce qu'il va épouser sa fille.

Le marquis a besoin d'argent, le sujet principal de La Huitième femme de Barbe-bleue. Au milieu de la suite traîne une baignoire d'un mauvais goût évident et que Loiselle affirme avoir été la possession de Louis XIV. Brandon ignore qui est Louis XIV mais il accepte d'acheter cet objet hideux pensant séduire Nicole. La demoiselle lui résiste et la baignoire fait des allers-retours entre les suites. Et Brandon poursuit Nicole sur la plage. Albert (David Niven), un ami de cette dernière s'avère être l'employé de Brandon qui sait tout sur tout le monde, avec l'arrogance de l'Américain conquérant.

Troisième objet : le livre. Michael Brandon a du mal à dormir. Nicole lui donne un judicieux conseil pour s'endormir, bien meilleur que compter les moutons. Epeler à l'envers le mot Czechoslovakia. La Tchécoslovaquie sera la destination de leur lune de miel. Quelle n'est pas cependant la surprise de Nicole d'apprendre que son futur époux a déjà été marié sept fois et divorcé six fois, l'une de ses femmes est décédée. Tout le monde doit être rassuré, un solide contrat de mariage est établi entre les deux époux.

Jamais l'échec d'un mariage n'aura été montré avec une telle force elliptique. Michael et Nicole (dont les prénoms riment en anglais) passent de la plus grande joie à la plus profonde solitude. Ils font appartement séparé immédiatement. Deux livres qu'ils achètent témoignent de leur divergence. Nicole achète « Live alone and like it » (vivre seule et aimer ça) et Michael lit « La mégère apprivoisée » de Shakespeare, qu'il expérimente immédiatement sur son épouse. Mais le cinéma, ça n'est pas comme une pièce de théâtre.

Quatrième objet : le verre de champagne. Reconquérir sa femme est l'obsession de Michael Brandon qui engage un détective et qui va tendre un piège à Nicole. Elle va se servir du détective pour tendre à son tour un piège. Lui utilise du champagne pour la soumettre, elle va embaucher un boxer. Et au milieu le pauvre Albert qui arrivera, comme d'habitude, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. La séquence de séduction alcoolisée est l'une des plus drôles du film, et l'un des plus tristes également.

Cinquième objet : la camisole. L'épilogue de La Huitième femme de Barbe-bleue démontre combien les différences entre les femmes et les hommes, l'argent et l'esprit (on est dans un asile), les Françaises et les Américains sont insurmontables sauf au cinéma. Ernst Lubitsch apporte la preuve en 80 minutes de dialogues hautement spirituels et quatre objets que les femmes françaises ont bien plus d'esprit que les businessmen américains. Elle l'a enfin apprivoisé, ils peuvent commencer à être amoureux l'un de l'autre.












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