jeudi 30 juillet 2015

Une histoire de vent (Joris Ivens et Marceline Loridan, 1988)


A 90 ans, Joris Ivens retourne en Chine avec une idée utopiste, celle de filmer le vent, donc l’invisible. Après tout, Ivens en a bien le droit et ce n’est pas la première fois qu’il essaie de capturer le vent. Et l’invisible tout autant, ne serait-ce que filmer une révolution en marche comme dans la plupart de ses films. Une histoire de vent est surtout un prétexte pour retourner en Chine et constater ce que le pays est devenu plus de quinze ans après la Révolution Culturelle que les deux cinéastes ont tant vanté. Le vent est un leitmotiv, ou un MacGuffin, pour revenir sur la vie de Joris Ivens. Le film commence avec des images d’un moulin hollandais dont les ailes sont mues par le vent. Un garçonnet s’est construit un avion et veut s’envoler pour la Chine, pays de l’exotisme par excellence pour un enfant européen des années 1910. La musique de Michel Portal, toute en fugue, accompagne les images. Et nous retrouvons Joris Ivens, en gros plan, sur son visage buriné mais serein de vieux sage. Autre vieillard tout aussi jeune, cet homme qui enseigne le kung-fu aux jeunes générations. Il explique que tout vient du souffle. Ivens confie qu’il est asthmatique.

Ivens filme des images de tempête. Il est dans le désert à attendre le vent, mais ne se passe. Il ne se lève pas. Tandis que dans le reste du monde, il y a des ouragans, des rafales de vent et des personnes victimes des éléments. Dans le désert, Joris Ivens attend encore que le vent se lève mais à force de rester au soleil et à la chaleur, à cause de son asthme, il tombe malade. Il met en scène son malaise et son rapatriement à l'hôpital. Le Roi Singe, qu'il a déjà filmé depuis le début du film, vient à son aide pour le remettre en forme.

Les cauchemars envahissent le personnage. Puis, il se rêve dans un film de Méliès (Voyage sur la lune) dont un voit un extrait. Pour la première fois, Ivens filme les légendes et contes chinois. Non seulement, il montre le Roi Singe comme personnage légendaire récurrent, mais il narre également dans un décor de carton pâte, comme pour revenir aux origines, des morceaux de la légende de Hou Yi. Plus tard, il évoquera le dieu du vent. Ce qui étonne donc est cette entrée fracassante vers la fiction. Comme pour prendre un plus grand recul sur sa carrière, il met en scène la Chine d'aujourd'hui, celle de 1988 donc, en studio. C'est un aveu finalement que certaines parties de Comment Yukong déplaça les montagnes est un film mis en scène. Ivens et Loridan constatent que la Chine en 15 ans a bien changé. On n'écoute plus les discours même si les pionniers chantent encore la gloire de la révolution. C'est une Chine en boîte, en condensé que montre ici Ivens. On y voit des sportifs, des gens modernes pour bien montrer que le peuple a bien son destin en main.

Sautant du coq à l'âne dans son voyage en Chine, Ivens n'arrive toujours pas à percer les mystères du vent. Un forgeron lui confectionne le masque du vent qu’il faut dresser pour le faire venir. C’est la confirmation qu’Ivens s’intéresse pour la première aux valeurs populaires chinoises. En échange du masque de fer forgé, Joris Ivens offre une copie de son film Les Barbants (1928), une de ses rares fictions qui marquait sa première tentative de filmer le vent. On en découvre un extrait. Toute l’équipe part dans les montagnes avec l’espoir de capturer l’image du vent. Les porteurs sont filmés. Ivens est porté dans une chaise puisqu’il est trop âgé pour gravir seul les flancs montagneux. Cela lui rappelle certains passages des résistants chinois dans Les 400 millions (1938) dont on voit un extrait.

Joris Ivens cherche à filmer les guerriers en terre cuite. Là, il doit faire face à un administration particulièrement tatillonne. Un bureaucrate ne lui offre que dix minutes de tournage ce qui met mal à l’aise les cinéastes. Les négociations durent une semaine jusqu’à ce qu’Ivens les rompe. Epuisé par tant de palabres, Ivens trouve une solution de remplacement. Dans un geste d’une belle jeunesse, le sourire jusqu’au dents, Ivens va filmer des soldats en terre cuite miniatures et des figurants déguisés. Son geste est fou mais c’est un des plus beaux moments du film. Puisqu'il ne cesse de reconstituer le passé, il peut également recréer les soldats. Dans le désert, le vent n’arrive pas. Ivens fait donc appel à une vieille femme qui s’apparente à une sorcière. Le vent arrive enfin emportant tout avec lui. Joris Ivens sourit. Le mot FIN apparaît. C’est le dernier film du cinéaste.
















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