Quand
on me demande quel film de Straub & Huillet je peux recommander
pour commencer à explorer leur cinéma, je dis toujours En
rachâchant. D'abord, le titre est rigolo avec ce barbarisme et
cette allitération, ensuite, c'est l'un des plus courts et pour
finir, parce que tout le monde peut le voir sur Youtube. Petite
musique atonale sur le générique, dans la cuisine une dame épluche
des légumes, panoramique sur l'enfant Ernesto debout qui chantonne
suivi du père qui lit son journal. Le reste du film se déroule dans
une salle de classe vide où l'instituteur cherche à comprendre
pourquoi Ernesto ne veut pas apprendre des choses qu'il ne connaît
pas. L'affrontement se poursuit avec les parents devant l'énervement
de l'enseignant.
Le
film est adapté d'un court récit de Marguerite Duras que les Straub
ont adapté sans lui demander son avis. Elle a tenté de leur faire
un procès. Dans Conversations en archipel (éditions Mazzotta
– Cinémathèque Français, 1999), livre conçu pour une
rétrospective sur leur œuvre, on découvre les annotations au stylo
rouge de Straub & Huillet, biffant certains passages ou ajoutant
d'autres phrases pour parfaire la musicalité des dialogues dans l'un
de leur rare film en français. La diction dans un film n'est jamais
celle de la vie de tous les jours, elle doit répondre à l’exigence
du montage, du hors champ et du plein champ. La naturalité du
dialogue n'est qu'une convention, le phrasé des comédiens pousse En
rachâchant vers la poétique.
En
rachâchant est une comédie, la seule de Danièle Huillet et
Jean-Merie Straub. Les cinéastes s'étaient une seule fois vaguement
testé à la comédie, en l'occurrence au burlesque, dans une courte
scène de Amerika rapports de classe quand un flic poursuit le
jeune Kafka, en hommage aux flics Keystone. La comédie d'En
rachâchant surgit grâce à l'incongruité des réponses de
l'enfant Ernesto aux réponses conformistes des adultes. On montre un
portrait de Mitterrand, il affirme que c'est un bonhomme, on voit un
papillon, il dit que c'est un crime. L'espièglerie de l'enfant est
une jouissance pour le spectateur qui n'aurait jamais osé répondre
avec tant d'insolence.
Le
film, en noir et blanc composé par Henri Alekan, permet de découvrir
ce que j'appelle le cadre straubien. Ses films, au moins ceux tourné
en pellicule, sont tous au format 1:33, format carré. Les corps des
comédiens occupent les deux tiers du plan, laissant le troisième
tiers au dessus d'eux vide, laissant une ligne d'horizon. L'espace
n'est jamais clôt. Les inserts sur les mains du professeur procède
d'un effet inverse. On ne voit que ses mains lorsqu'il se met à
engueuler le gamin, sa tête est hors cadre. La panoramique est une
marque de fabrique des Straub (tout Trop tôt trop tard, leur
film précédent est en panoramique). Ici, à l'exception du premier
plan, tout est en plan fixe. Le montage est rapide menant le récit
tambour battant.
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