vendredi 17 juillet 2015

The Blade 刀 (Tsui Hark, 1995)


The Blade commence tout tranquillement dans une fabrique d'épée. Du feu, des lumières, des jeunes gens torse nu qui travaillent le métal. Une jeune fille observe deux gars : Tête d'acier et Ding On. Elle s'appelle Siu-lung, elle a un chaton sur les genoux et tisse. Elle est la fille du patron et eux ses ouvriers. Ils sont puceaux et elle rêve qu'ils tombent, tous les deux, amoureux d'elle. Elle va donc provoquer un affrontement entre les deux amis en les invitant à manger un bol de soupe en même temps.

The Blade commence en apparence gentiment, mais déjà quelque chose étonne : c'est le style qu'adopte Tsui Hark. Le cinéaste jette par terre tout ce qui avait fait la beauté de ses films de sabre précédents. Les beaux costumes de Jet Li dans ses aventures de Wong Fei-hung, c'est fini. Le bruit des drapés le soir, oublié. Tsui Hark arrête même ses chorégraphies chaloupées qui ont fait le charme et la grandeur de Zu et de ses autres wu xia pian.
C'est d'ailleurs très troublant de voir The Blade aujourd'hui, parce que la plupart des films d'action d'aujourd'hui paraissent être mis en scène de cette façon. Pure illusion d'optique : dans les films récents, c'est une tentative assez vaine de refonder l'action, dans The Blade, l'intention est de plonger au cœur du chaos de cette époque. D'ailleurs, Tsui réinvente cette Chine sans date, sans géographie. Il le fait à la manière de Pier Paolo Pasolini quand il recréait la Grèce ancienne dans Œdipe Roi ou l'Orient dans Les 1001 nuits. On croise un groupe de musique traditionnel, un acheteur perse. On y parle de la croix d'un sauveur universel.
Il y a autre chose concernant la manière de filmer qu'adopte Tsui Hark dans The Blade, qui est cette manière de toujours poser sa caméra derrière un élément : un pilier, des fenêtres entr'ouvertes, des sabres qui pendent, des bambous posés contre un mur. Il y a comme une volonté délibérée de cacher ce qu'il veut montrer, de rester dans une idée de secret. Le secret, celui du nom du père de Ding On, ce champ de l'emprise dont la fille du forgeron parle et qui doit demeurer enfoui dans une vision partielle. Ces décalages de l'image, en contradiction totale avec ses Il était une fois en Chine, évoque l'Othello d'Orson Welles, une autre histoire de deux hommes entre lesquels se trouve une femme.
Tsui Hark filme au plus près des visages de Ding On et Tête d'acier. La caméra est portée, très vive. Le montage est saccadé. On s'y croit. On est de plein de pied dans le film, mais ce que filme Tsui Hark est à la limite du soutenable, et ce dès le début du film avec ce chien affamé qui va se faire prendre au piège à loup sous le rire goguenard de quelques individus peu recommandables.

C'est justement un piège à loup qui causera la perte de son bras à Ding On. Et là, est sans doute la plus grosse divergence de point de vue qu'a Tsui Hark, sur le mythe du sabreur manchot, avec Chang Cheh. Une courte séquence nous montre Ding On serveur dans un restaurant où il se fait insulter, comme dans La Rage du Tigre. Mais la séquence est de courte durée. Tout comme les autres références aux classiques de la Shaw que Tsui Hark prend un malin plaisir à pervertir.

Ding On est l'homme brisé, sacrifié, mais il n'en est pas pour autant une figure christique. Il est l'anti-figure christique, comme dans cette scène de torture au feu par l'homme au maquillage blanc : Ding On est pendu par les pieds à un arbre, comme un lapin dépecé, tandis qu'on le torture sous les yeux de Noiraud. Une croix renversée. Scène terrible à la limite de l'insoutenable que Tsui Hark filme, pourtant, sans complaisance. D'autres scènes de meurtres, de tueries, de batailles sont poussées à leur paroxysme, le tout sous un ciel constamment gris ou pendant la nuit.

Ding On a un bras en moins, il a une épée brisée, il n'a pas le nom de son père et il tente d'apprendre le kung-fu avec un ouvrage à moitié brûlé. Mais au moins, il a un prénom, lui rétorque Noiraud, elle qui n'en a même pas. Ding On ne se battra pas pour lui-même, mais pour récupérer son nom de famille. Un seul moyen, faire de son handicap un atout, apprendre les coups du kung-fu et faire de son épée une arme véritable. On se croirait presque dans un wu xia pian classique, la finalité étant de se débarrasser des câbles qui chorégraphient le kung-fu.

Siu-lung, la fille du forgeron, est au cœur de la dispute sexuelle et amoureuse des deux garçons qui se découvrent animés de pulsions qu'ils ne soupçonnaient pas. Sans doute est-ce aussi cela le champ de l'emprise. On ne compte pas les symboles sexuels qui parsèment le film, mais ce sont des symboles diminués et régressifs. On est, là encore, loin des visions de Chang Cheh.

C'est la juvénilité de Chiu Man-cheuk qui fait beaucoup de la grandeur de The Blade. Sa candeur quand le maître forgeron fouette ses camarades, son refus de grandir quand il doit prendre la succession de son patron, son innocence dans son amitié avec Tête d'acier. C'est sa rencontre avec Fei-lung, le diable tatoué, superbement interprété par Hung Yan-yan, par ailleurs chorégraphe des combats, qui le fait entrer dans l'âge adulte. Une sorte de mouvement accéléré pour passer directement de l'adolescence à l'état d'homme. Fei-lung est l'assassin de son père, Ding On sera son meurtrier.

Tsui Hark avait déjà réuni dans Le Festin chinois les deux acteurs qui déjà s'affrontaient mais uniquement su le plan culinaire. Leur opposition physique (Chiu est un enfant, Hung est un gros dur), leur différence de voix (Chiu a une voix très douce, celle de Hung est nasillarde) et leur ambition propre fonctionnent sur le mode du chaud-froid, sucré-salé, doux-amer, feu-eau. Une des plus grandes idées du film.  






















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