Chacun
a son film de Tsui Hark préféré et c’est tant mieux, mais Zu
les guerriers de la montagne magique
est sans doute le plus irréductible à toute explication, celui qui est un spectacle total, poétique et pur, en tant qu’il vaut mieux le voir dans de bonnes conditions
(en VO, si possible sur grand écran) pour en apprécier la saveur et
sans doute pour en comprendre les rouages et les enjeux. Zu
les guerriers de la montagne magique
est un film d’apparence complexe mais qui se laisse prendre au bout
de quelques visions. Son explication est donc promise à celui qui
voudra bien l’atteindre. Déchiffrer les aventures des personnages
de Zu
les guerriers de la montagne magique
est en soir une gageure mais cela devient rapidement la seule manière
de comprendre le film et d’en faciliter l’accès. Zu
les guerriers de la montagne magique
est un film parfait parce qu’il est à la fois d’une grande
complexité de prime abord mais qu’il recèle des ingrédients tels
que poésie, humour, sensualité, violence, effroi, romance,
aventure, honneur et d’autres encore de manière si évidente.
Les
personnages donc. Ils sont rarement nommés, tout juste désignés
mais chacun aura une fonction précise à laquelle il devra se tenir
pour finir l’aventure. Or l’idée géniale de Tsui Hark est de ne
pas cantonner ses personnages dans un rôle. Yuen Biao qui est le
personnage porteur du récit, celui qui lance le film dans sa
rencontre avec Sammo Hung, Yuen Biao donc n’est qu’un soldat qui
doit se battre au milieu d’autres soldats. Il a une couleur qu’il
n’a pas choisie, pas plus que Sammo Hung, mais il va se battre pour
cette couleur. Cette fonction de simple soldat, donc de chair à
canon pour un seigneur qu’ils ne connaissant pas, devrait vite
amener le récit sur le champ de la mort, mais il suffit d’un
détail (Yuen Biao glisse d’une falaise) pour lancer le récit dans
une autre direction. Mais Tsui Hark nous avait prévenu dans son
prologue que ce récit serait magique, que les montagnes révéleraient
de nombreuses chausse-trappes. Ce que dit aussi immédiatement le
film, c’est que chaque personnage n’aura d’autres buts que de
sauver sa peau de ce monde chaotique dans lequel il est plongé. De
toutes parts, des soldats des différents royaumes chinois arrivent
dans le plan. Chaque clan a une couleur, c’est assez beau mais
c’est troublant puisque c’est drôle et cruel. Des soldats font
semblant d’être morts pour ne pas avoir à se battre. Sammo Hung
et Yuen Biao croyant bien faire se couchent par terre, mais ils
doivent partir dans une autre direction (le lac voisin et le bateau
d’un pécheur) puis revenir sur la terre ferme. Les deux hommes se
rendent compte qu’ils viennent du même village mais de quartiers
différents. Finalement Yuen Biao décide de reprendre le récit
seul. Etonnement, cette séquence inaugurale n’aura pas de
conséquence sur la suite du récit, si ce n’est dans le final,
histoire de boucler la boucle.
Zu
les guerriers de la montagne magique
commence à la deuxième séquence. Nous avons juste appris que Yuen
Biao est solitaire, qu’il sait se battre et qu’il n’a plus de
maître. Il vient de tomber d’une falaise et se retrouve dans une
grotte. Nous étions en plein jour, avec de nombreux soldats et nous
nous retrouvons dans le noir avec des esprits prêts à liquider
notre personnage. Les esprits se déplacent dans tous les sens, ils
rentrent dans des images jarres et ils ont des yeux verts – ou des
lumières vertes - qui les font se distinguer de l’obscurité. Ces
esprits n’ont plus rien d’humains et sont maléfiques. Cela
semble certain. Yuen Biao va se battre mais contre quoi ? Des
ectoplasmes, des formes diaboliques qui se déplacent verticalement
quand notre héros avance horizontalement, des esprits qui grimpent
aux murs, roulent au plafond en dépit de toutes les lois de la
gravitation. La caméra n’a pas besoin de bouger, le cadre peut
rester statique puisque les esprits font les travellings à la place.
Mais le problème est ailleurs. Comment se battre contre des entités
inconnues qui ne laissent aucun répit à Yuen Biao ? Leur cri
est effrayant, un râle que l’on dirait enregistré à l’envers.
Rien d’humain. Yuen Biao a mal à faire avec les tentacules des
esprits, des racines qui s’enroulent autour de ses jambes et
menacent gravement sa vie. C’est alors qu’arrive le deuxième
personnage de Zu
les guerriers de la montagne magique,
celui-ci va rester jusqu’à la fin du film. Adam Cheng entre en
scène, c’est un chevalier errant, un sifu
sans disciple, et il sauve Yuen Biao des monstres. Yuen Biao veut le
remercier et lui propose d’être son disciple. Refus. Départ du
maître. Arrivée de Damian Lau et de son disciple Meng Hoi, avec sa
bouille de gamin. Les deux maîtres s’affrontent sans raison,
chacun part de son côté, pour ensuite revenir pour affronter un
plus gros démon encore qu’il faut aller chasser dans les montagnes
magiques.
Comme
chaque fois, le scénario de Zu
les guerriers de la montagne magique
redémarre avec l’arrivée d’un nouveau personnage et un autre
lieu à explorer. Il s’agit cette fois d’un groupe de personnages
(ils sont quatre guerriers) et de leur ennemi (un démon). Le film
avait commencé avec de nombreuses couleurs qui déterminaient le
clan de chaque soldat. Cette fois, les « gentils » seront
en blanc et le démon en rouge. Le démon est enseveli de crânes
humains mais ce qui étonne est ce code de couleurs qui diverge
radicalement puisque le rouge est censé être la couleur du bonheur
et le blanc celui du deuil et de la mort. C’est que depuis le début
de son film Tsui Hark a décidé de briser tous les codes qui avaient
lieu jusqu’alors dans le wu
xia pian. Il montre des
chevaliers errants et misanthropes qui donnent des conseils peu
amènes à leurs disciples. Le sifu
de Meng Hoi est à ce titre particulièrement antipathique. Dans un
moment de calme d’action, c’est-à-dire un entre deux où la
comédie burlesque domine, nos personnages vont déjeuner. Les
disciples pêchent le poisson, poisson récalcitrant, ils le font
cuire mais Meng Hoi, parce que moine et végétarien, ne peut pas en
manger. Il se fera sévèrement engueuler par son maître dans sa
tentative de prendre un petit morceau de poisson. Mais l’action
burlesque est vite balayée pour arriver au suspense du film. Damian
Lau va être empoisonné. Il va falloir aller le sauver. Un autre
danger attend les hommes : la femme.
Elle
arrive, la femme, sous forme d’apparition, un fantôme rouge –
encore une fois. C’est là aussi un démon, c’est en fait une
incarnation sexuée du démon au crâne vu précédemment (le code
couleur). Elle prend aussi le visage du maître malade. Le maître
est moribond, il faut lui prodiguer des soins. Il est étonnant de
constater que dans Zu
les guerriers de la montagne magique,
il est plus facile de transmettre le poison que le savoir. Un maître
est malade, un autre va l’aider, mais les prières et les soins
prodigués ne sont pas à la hauteur. Il faut donc aller, sur les
conseils de Long Sourcil (le deuxième personnage de Sammo Hung –
sur le mode burlesque cette fois), voir la Reine des Glaces, incarnée
par Brigitte Lin. La femme donc. La beauté chinoise par excellence,
comme on l’a souvent dit et que Tsui Hark a sorti d’un anonymat
cinématographique. Cette reine des glaces n’apparaît pas au
simple mortel, fût-il un sifu,
comme par enchantement. Et c’est tout le problème que le maître
de plus en plus mauvais état a. Le lieu est gardé par une horde de
femmes qui interdit à Yuen Biao et Meng Hoi de rentrer et appeler
Brigitte Lin. Un gage leur est donner, maintenir la flamme allumée
jusqu’à l’arrivée de la Reine des Glaces. Gageure, car ils vont
aller au devant des rets qu’on leur temps.
On
ne peut pas dire que Tsui Hark donne le beau jeu aux femmes. Dans ces
quatre films précédents, ce n’était pas extraordinaire. Mais il
n’est pas misogyne. C’est un cliché de le dire. La femme dans le
cinéma de Tsui Hark est une héroïne, ou bien elle n’existe pas.
Ici, comme dans beaucoup d’autres de ses films, la femme amène la
fiction. Jusqu’à présent dans Zu
les guerriers de la montagne magique,
la mort était amenée par les hommes ou par le démon déguisée en
femme. La Reine des Glaces sera le premier personnage qui enfin
produire du bien. Bien entendu, le personnage de Brigitte Lin n’est
pas celui d’une femme facile. On l’a vu, elle manie le feu et la
glace avec dextérité. Tsui Hark magnifie cependant son actrice.
Contrairement aux acteurs masculins, elle n’aura pas de moments
burlesques, pas de chasse aux poissons, pas de coups de pied au cul,
pas de bruits d’estomac, pas de roulade. Rien que du sérieux pour
Brigitte Lin. Sa couleur dominante est le bleu. Tsui Hark propose un
magnifique combat entre Brigitte Lin et Adam Cheng, un combat où
l’érotisme n’est pas absent, loin de là.
Puis,
il suffira d’exterminer le mal rouge. Là, l’autre personnage de
Sammo Hung entre en scène et avec lui toute une imagerie qui va à
l’encontre de ce que nous avons pu voir jusqu’à présent. Sammo
Hung est vêtu d’une grande cape rouge. Comment un homme en rouge
peut-il donc combattre le mal ? C’est que dans le reste du
film, le démon s’était paru de ces couleurs pour tromper l’ennemi
(d’où le coup de la femme aguicheuse). Sammo a de longs sourcils
qui lui offrent son patronyme. Tsui Hark profite de la bonhomie de
l’acteur pour mettre en scène quelques moments burlesques
nécessaires – d’ailleurs la plupart des scènes comiques lui
sont échues à lui et à Yuen Biao et Meng Hoi. Enfin Sammo se bat.
Il lance des cercles de fer, des miroirs ronds qui aveuglent le mal.
Le film était pour l’instant un bel agencement de feu d’artifice,
d’effets spéciaux artisanaux d’une grande inventivité, conçus
par Tsui Hark et sa toute nouvelle société d’effets spéciaux,
mais avec Sammo Hung, c’est encore plus beau. Toute la mise en
scène de Tsui Hark a été de faire circuler les personnages autour
de Yuen Biao. Dans un mouvement ininterrompu, les cercles se sont
accumulés. Des rubans de la Reine des Glaces aux armes des démons
en passant par le collier du disciple. Briser le cercle pour mieux
poursuivre la fiction. Le film est un mouvement perpétuel passant
des plus extrêmes pour mieux divertir.
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