vendredi 10 avril 2020

Terje Vigen (Victor Sjöström, 1916)

Dans l'histoire du cinéma, le cinéma suédois muet est oublié. Il était pourtant des plus vivaces pendant la première guerre mondiale, comme le cinéma italien muet, les deux s'exportaient, avaient des succès hors de leurs frontière. Il en est ainsi des mouvements mémoriels et je ne désespère pas un jour pouvoir voir les films muets de Victor Sjöström édités en vidéo. En mars avril 2000, j'avais pu voir à Repérages autour du Vent au CRAC Scène Nationale de Valence une dizaine de films de Sjöström et de Moritz Stiller, aujourd'hui je me rabats sur archive.org qui en propose un certain nombre.

Terje Vigen a longtemps été considéré comme le premier bon film suédois, j'ai lu ça à la fois dans l'Avant Scène Cinéma consacrée aux Fraises sauvages (avec Victor Sjöström) et dans le volume 1 du Brasillac et Bardèche (que je consulte souvent pour avoir l'avis des critiques qui ont vécu ces temps). Victor Sjöström joue le personnage éponyme tiré d'un poème, en norvégien, de Henrik Ibsen. Des intertitres, en norvégien donc, servent de lien narratif. Dans les premiers plans, Terje Vigen barbu, hirsute, est dans un cabanon au bord de la mer. Il observe les vagues s'écraser de sa fenêtre.

C'est avant l'heure un plan fordien ce cadre de fenêtre qui ouvre sur un espace restreint, qui engage à aller vers l'histoire, celle d'un marin qui a tout perdu, qui vit reclus chez lui et qui se souvient. Le film enchaîne sur un long flash-back de plusieurs bobines, plus d'une demi-heure avant de revenir à son temps présent. Le procédé narratif existait mais il ne se contente pas ici d'un simple souvenir, il participe au suspense du film, à sa construction dramatique. Pour ce retour en arrière, Victor Sjöström apparaît glabre, souriant et mari amoureux de sa femme et de leur fille. C'est un marin intrépide que lequel s'acharne le sort.

C'est presque un film d'action qui est donné à voir. Filmé en décors naturels, ceux du nord de la Suède, dans des vraies maisons de marin et dans des vrais bateaux de pêche. Cela évite l'aspect théâtral, écueil de certains films muets. La mer défie les hommes, grandes vagues, écume, houle. L'acteur réalisateur grimpe sur le mat, court dans tous les sens, fait office de rameur sur sa barque. Le poème d'Ibsen raconte la résistance des Norvégiens face à un blocus anglais. Terje est fait prisonnier. Il passe cinq ans dans les geôles anglaises. C'est quand il est libéré qu'il apprend que sa femme et sa fille sont mortes de famine, à cause des Anglais et à cause de lui.


Le film ne fait pas dans la finesse dramatique surtout dans sa dernière partie une fois les scènes « d'action » achevées. Il appuie avec de longs regards ténébreux de Victor Sjöström la tragédie intérieure qu'il vit. Revenu dans le temps présent, l'heure de la vengeance sonne. Notre malheureux héros a retrouvé la trace de l'officier anglais, il va le tuer mais quand l'officier, qui semble ne se douter de rien – tant de temps a passé – lui présente sa femme et sa fille, Terje comprend qu'il ne peut pas faire subir ce qu'il a subi. Enfin apaisé, il salue dans un dernier geste l'officier qui s'en va sur un navire où le drapeau norvégien est dressé sur le mat.
























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