jeudi 16 avril 2020

Le Colocataire (Marco Berger, 2018)


Inlassablement, Marco Berger poursuit son petit travail de portrait de l'homme argentin porté par son désir. Dans Le Colocataire, c'est Juan (Alfonso Baron) le brun face à Gabriel (Gaston Re), le blond – le titre original est Un rubio : un blond. Que sait le spectateur d'eux, pas grand chose, pour ainsi dire absolument rien. Marco Berger filme les visages fermés, sans parole de Juan, dans une attente indéterminée. Il fume des clopes sur la terrasse au dessus de son domicile.

Deux de ses amis traînent dans son salon, affalés dans le canapé. Ils regardent du foot à la télé, on n'entend que le son. Ils causent des filles avec des forts accents machos, le plus vieux, un collègue de Juan est le plus balourd, à se vanter de tomber des jeunes filles, de tromper sa femme sans vergogne. Vient enfin la discussion sur le nouveau colocataire qui doit arriver là parce que Juan a besoin d'argent. Quand ils demandent qui c'est, Juan répond « un blond ».

Gabriel ne sera guère plus causant. Au fil des indices distillés, on apprend qu'il a eu un boulot dans la même boîte de menuiserie que Juan, un boulot manuel. Il habite chez ses parents loin de là (il doit prendre le train pour s'y rendre, un train bleu qui passe devant la maison de Juan), il a laissé sa fillette de 5 ans chez ses parents. Ils ne partagent jamais rien ces deux-là, séparés par le cadre, par le montage, deux étrangers sans mots communs dans le même lieu.

Le trajet entre le boulot et la maison est l'occasion de la réunir. Ils sont debout tous les deux dans le bus, entre eux et la caméra d'autres usagers, ça tangue un peu. Ils ne disent, pour ne pas changer, ils sont en face l'un de l'autre sans vraiment être à côté. Mais dans un jeu opératique de distance, presque d'ombres chinoises, les lèvres se touchent par un effet d'optique, c'est très beau ces baisers invisibles et imaginaires qui amorcent le désir naissant.

Juan a une copine, Natalia (Mellissa Falter) qui passe de temps en temps. Juan n'est ps farouche, il se promène à poil chez lui après avoir couché avec elle. Pas plus elle que lui n'ont entendu Gabriel occupé à lire tranquillement et silencieusement son bouquin, son unique activité le soir. La maison, toujours filmée sans musique, devient un labyrinthe du regard où passent le corps de Juan, une sorte de fantôme que Gabriel observe sans parvenir à la toucher.

Le mélange des corps du brun et du blond doit bien arriver. Il se dégage une sensualité inégalée chez Marco Berger, il place sa caméra au sol pour ne capter que des gestes maladroits, des tentatives un peu gauches de deux hommes qui prennent le temps de s'apprivoiser. Ce qui dégage là est une tension qui explose enfin, c'est tout le secret de ce cinéma de Marco Berger, une méthode d'observation qui s'approche de plus en plus de ses sujets.

Vient enfin le temps des questionnements. Juan dont on pensait qu'il était le narrateur cède la place au point de vue à Gabriel, désormais de la musique se fait entendre, avec discrétion pour suivre le tempo lent du film. Le reste du film repose sur un suspense amoureux et sexuel, tout doit rester dans le secret, loin du regard des potes du canapé et de Natalia, loin de la famille de Gabriel. C'est ce dernier qui conclut avec enfin un sourire tandis qu'un train se fait entendre au loin.

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