mercredi 15 avril 2020

State funeral (Sergei Loznitsa, 2019)


Puisque nous ne pouvons pas aller dans les cinémas voir des films, je me rabats ici et là. Avant d'aller jeter un œil sur les films restaurés par la Cinémathèque française, sur une plateforme VOD nommée Henri (ça a commencé fort avec des films de Jean Eptsein), j'ai regardé sur Arte State funeral de Sergei Loznitsa, film de 2h09 sur la mort de Staline. Incroyable montage d'archives en couleurs et noir & blanc qui rappelle L'Autobiographie de Nicolae Ceaușescu de Andrei Ujica.

Staline est mort le 3 mars 1953 et des hauts parleurs partout en URSS l'annonce au peuple. Le discours entendu et retransmis est le même partout avec une voix posée, solennelle et triste. L'homme décline tous les titres du tyran et les gens écoutent, la caméra scrute les visages quels que soient les coins où ils se trouvent dans ces places publiques de Moscou, de Sibérie, de Lettonie. La tristesse est de rigueur.

Les pleurs commencent à se répandre sur les visages des Soviétiques filmés. J'essaie d'imaginer ce qui pouvait passer dans leurs têtes mais ils n'ont pas le droit d'être joyeux, ils ont l'obligation d'être tristes, les mouchoirs et les mines affligées sont privilégiées par ces reporters envoyés par le pouvoir soviétique dans un évident but d'édification. Montrées brut, ces images sont clairement mises en scène, ou au moins montées dans ce but.

L'essentiel se passe à Moscou avec le passage de la population devant le cercueil de Staline. Il a été portée par des caciques du régime et entouré de gerbes de fleurs, surtout des roses, ce qui en ce début de mois de mars ne devaient pas être faciles à trouver, ce n'est pas la saison des fleurs. Il neige sur Moscou, il fait froid, tout le monde a son lourd manteau et porte des foulards pour les femmes et des chapkas pour les hommes.

Direction l'aéroport et l'arrivée des dirigeants des nations sœurs de l'URSS. Ils arrivent en avion de RDA, Chine, Tchécoslovaquie, de Londres (la délégation du PC britannique). Ils serrent quelques mains à des généraux, des membres du bureau politique. Ils s'engouffrent dans des voitures noires rutilantes. Dans ce montage alterné entre le peuple à pied et debout et les dirigeants on remarque déjà la position critique du cinéaste.

L'absence de commentaires off est une bonne chose, on n'en a pas besoin. Les discours entendus tout au long, la propagande délirante exprime tout à fait l'endoctrinement en cours sur la population qui n'a pas d'autres choix que de montrer sa tristesse, feinte ou réelle, c'est de toute façon la même chose, les habitants et les passants réagissent comme les dirigeants espèrent, souhaitent et attendre qu'ils réagissent. Aucun libre arbitre chez eux n'est envisageable.

La musique est omniprésente, Schubert, Chostakovitch et bien entendu pour le bouquet final la marche funèbre de Chopin. Toute la cérémonie funéraire est montrée, avec son protocole réglé comme du papier à musique, ses apparatchiks qui portent le cercueil, la traversée de la place rouge et les discours sur le mausolée de Lénine. C'est Khrouchtchev qui annoncent ceux qui vont parler à ce peuple orphelin.

Les discours sont tous les mêmes avec des formules toute faites et dénués de sens. Ils clament sans aucune conviction, sans émotion, sans tristesse que sa glorieuse politique va durer des siècles et des siècles. Staline, le « maître », comme le disent les chefs des kolkhozes où ils causent à ceux qui n'ont pas pu se rendre à Moscou, est désormais enfermé dans le mausolée, le peuple se disperse et les gerbes de fleurs sont abandonnées à même le sol.

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