Charlot vagabond (Charles Chaplin, 1915)

Seulement dix jours séparent les sorties de Charlot veut se marier (1er avril 1915) de Charlot vagabond (11 avril 1915), mais le saut qualitatif est impressionnant. Sans doute, Chaplin voulait définitivement tourner le dos au burlesque simpliste qui a fait sa gloire et aller vers un peu d'émotion au milieu du comique. Son personnage de vagabond n'est pas inventé avec ce court-métrage mais une conscience sociale lui est donnée et ce dès sa première apparition à l'écran sur une route poussiéreuse où les automobilistes n'ont que faire de lui.

La vie en solitaire est ce qui anime le vagabond créé par Charles Chaplin. Il n'a pas besoin de grand chose, il a son baluchon avec lui. Une gamelle, un bout de pain, une pincée de sel et un peu d'eau. Mais quand on lui vole son morceau de pain, celui-là même qu'il sculptait avec agilité dans Charlot veut se marier (le seul plat comestible chez les bourgeois qu'il visitait), alors tout va mal et cela mérite un sévère correction. Le voleur patibulaire a eu l'idée bizarre d'échanger le pain avec une brique, la brique servira de maillet pour assommer le coquin.

Le voleur n'en était pas à son premier coup, il avait repéré de loin, avec ses deux acolytes, Edna (Edna Purviance) partait faire des courses avec de l'argent donné par son père un fermier. Il s'en empare mais Charlot vient défendre la jeune femme. A l'aide de sa brique, pourtant fournie par le voleur – c'est dire s'il est stupide – il assomme à nouveau le maraud. Puis les deux autres à l'air tout aussi patibulaire viennent pour dérober l'argent et se font rosser par Charlot avec une espièglerie sans cesse renouvelée.

Pour récompenser Charlot, Edna l'invite chez elle et son père. Ce dernier lui propose du travail à la ferme. Charlot n'a rien contre une vie tranquille lui qui parcoure les route. Mais de là à travailler. On va vite le découvrir, le travail n'est pas son fort. Chaque objet qu'il saisit se transforme en arme dangereuse qui menace ceux qui entoure le vagabond. Ainsi la fourche dont il ne sait pas quoi faire est le prolongement de son bras, un bras forcément maladroit, mais elle pique dans tous les sens l'employé de ferme suivant la position adoptée.

Ça continue avec des sacs de farine à ranger dans la grange. Tel Sisyphe, le sac ne fait que tomber. Le plus drôle est l'arrosage du verger que Charlot fait avec un petit arrosoir, naviguant d'arbre en arbre avant de traire une vache en remuant la queue comme si c'était une pompe à eau manuelle. Tout ce travail produit en dilettante n'avait qu'un but, séduire Edna. Parce qu'elle est déjà fiancée, il décide de partir et invente dans ce film ce qui sera l'une de ses plus célèbres sorties (une boucle avec son entrée dans le film), il tourne le dos au spectateur et s'en va vers l'horizon pour d'autres aventures.