vendredi 13 décembre 2019

Océan (Océan, 2019) + Indianara (Aude Chevalier-Beaumel & Marcelo Barbosa, 2019)


Deux prénoms pour titre de film. Deux prénoms particuliers, singuliers comme peu de gens en porte. Au Brésil c'est Indianara, une femme transgenre, en France c'est Océan un homme transgenre. Ce dernier avait déjà réalisé un film quand il était une femme, une comédie très nulle Embrasse-moi et son film Océan retrace sur près de deux ans, de janvier 2018 à octobre 2019, son changement de genre. Attention, il insiste, il ne s'agit pas de changement de sexe mais bien de genre. Océane était lesbienne, il va devenir un homme transgenre.

Le film présenté dans quelques cinéma, comme une tournée (c'est indiqué ainsi sur l'affiche), est la mise bout à bout d'un journal intime sur son changement diffusé par France Télévisions (la série est visible ici). On n'échappe pas au narcissisme du comédien qui s'avère parfois très pénible dans les premières minutes. Il est entouré de tout un tas d'amies qu'on dirait des caricatures de bobos parisiennes. Surtout, Océan ne peut pas s'empêcher de donner des leçons à tout le monde (sa pauvre maman) et d’égrainer sa haine du cisgenre.

Pour être honnête, c'est la peur du changement qui rend Océan ainsi. Une trouille incommensurable qu'il tente de cacher par une tchatche constante et des rires sonores. C'est une voyage vers l'inconnu qu'il mène. Il a beau avoir discuté longuement avec d'autres hommes transgenre, préparé avec minutie son changement et être entouré d'amies et de famille, il se rend compte que tout est compliqué. Le film montre toute cette complexité et Océan ne se prive pas de mettre dans le film ceux qui l'égratignent. De ce point de vue, il ne se donne pas forcément le beau rôle.

La politique est relativement absente de son film, si ce n'est lors d'un conférence à Saint-Denis. Dans Indianara, c'est tout l'inverse. Son personnage éponyme est une pasionaria de la politique très connue dans son quartier et dans sa ville. Dans les manifestations politiques qui émaillent le film (et elles sont nombreuses et remplies de protestataires), elle prend chaque fois le haut-parleur pour exprimer une voix que les politiciens professionnels comme les leaders syndicaux essaient de ne pas laisser s'exprimer.

Indianara commence dans un cimetière et se termine par des funérailles, c'est dire que tout n'est pas rose dans ce Brésil filmé, comme Océan, pendant deux ans par le duo de cinéastes. Tout se termine par l'élection du président d'extrême droite. Exactement ce que craignait Indianara et ses amies, l'arrivée d'un salaud au pouvoir. C'est là que toutes ces manifestations prennent de l'importance, que cette parole forte et précise peut se développer. Le discours d'Indianara est toujours le même, elle ne transige pas, elle exige les mêmes droits pour tous.

Son rôle au sein de la communauté est de protéger les autres transgenres. En début de film, elle accueille dans un taudis une demie-douzaine de femmes transgenre. Elle leur dit en substance que ce taudis c'est mieux que vivre dans la rue. On est ici dans le lumpen prolétariat brésilien. Indianara vise à améliorer leur vie. On partage des repas, on se baigne dans la piscine que Mauricio, le compagnon d'Indianara, a installé dans le jardin de leur maison, on discute et bien entendu, puisque c'est le cœur du film, on manifeste.

Les deux films se ressemblent mais sont totalement opposés dans la manière poignante d'évoquer deux destins singuliers (c'est l'adjectif le plus concret que j'ai trouvé, ça fait deux fois que je l'emploie). On sent le drame constant derrière les éclats de rire réguliers. On sent qu'on joue aussi une comédie, on tente de faire bonne figure, pour lutter contre les stéréotypes. Ça marche, les deux films, deux documentaires modestes à l'image parfois ingrates, se complètent, se répondent d'un continent à un autre, d'un genre à un autre.

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