dimanche 15 décembre 2019

J'ai aussi regardé ces films en décembre


It must be heaven (Elia Suleiman, 2019)
On compare à Jacques Tati mais je ne suis pas certain que Tati aurait filmé les jambes des filles au ralenti comme le fait Elia Suleiman. Tati était un enfant dans un monde adulte et Suleiman, en adulte, admire les femmes parisiennes et prend son temps, en terrasse de café, pour les observer. Dans le cinéma américain, il y a bien deux burlesques qui regardent tout les femmes, c'est Harpo Marx et comme Elia Suleiman, il ne parle pas et Jerry Lewis dans un mélange d'attirance et de répulsion. Jerry Lewis parle beaucoup plus mais il compose lui aussi ses films en saynètes extrêmement chorégraphiées. Les scènes à Paris sont ce qu'on peut voir de plus admirable et de mieux mis en scène depuis des mois. Je ne suis demandé souvent comment il avait réussi à vider la capitale de ses habitants pour en faire un pamphlet sur la mode politique du moment : le tout sécuritaire, le règne du règlement. Il faut voir ces flics venir mesurer la terrasse du café où il se trouve, tels des machines issues de Terminator, les voir déambuler sur leur petites machines. Le mélange constant d'infantilisation et d'application stricte d'une loi stupide montre à quel point le monde est déréglé. Ce dérèglement, il est présent dans les séquences sur sa terre natale, dans ce pays de Nazareth, en terre Chrétienne arabe où un pope s'énerve devant la porte d'une église et où un voisin qui s'occupe de son jardin. Avec sa tête de Droopy, Elia Suleiman observe ce monde et va se promener, à Paris donc puis à New-York (mais filmé au Canada) où il tombe sur des admirateurs de son cinéma mais eux aussi voudraient un film à la Tati et surtout pas un film sur la Palestine. Le finale dans une boîte de nuit bruyante me rappelle celui de Simon du désert de Luis Buñuel où l'ermite qu'incarnait Claudio Brook se retrouvait en enfer, c'était une discothèque.

Tenzo (Katsuya Tomita, 2019)
Le film le plus court de la quinzaine pratique lui aussi le mélange, plutôt la dualité entre deux moines laïcs de la région proche de Fukushima. C'est épatant mais on ne sait jamais vraiment où on se trouve, dans un documentaire sur leur vie ou dans une fiction. L'un des deux moines est marié et père de famille et donne des courts de cuisine zen. Son temps libre il le passe à écouter les Japonais déprimés avec le tsunami et l'explosion atomique. L'autre moine a vu son temple détruit, il écoute du rap dans sa camionnette et se soûle la gueule. Split screen, animation dans certaines courtes scènes, film d'archive en 16mm, tout est là pour désarçonner le spectateur, c'est un puzzle narratif, avec tout plein d'incongruités, de cocasserie et d'humour. Il brise surtout tous les clichés sur le bouddhisme zen que l'on avait ou que l'on pouvait avoir. Une vieille bonzesse adresse à intervalles réguliers sa vision du monde, c'est terriblement déprimant, mais oui, elle a raison.

Les Envoûtés (Pascal Bonitzer, 2019)
On dirait un vieux scénario que Bonitzer, dont il était l'un des scénaristes, aurait filé à Jacques Rivette et que celui-ci aurait pas voulu / pu tourner, dans cette période pas folichonne du cinéaste qui allait de Haut bas fragile à Touchez pas à la hache. C'est assez terrifiant de retrouver tous les tics de Rivette mal façonnés par un autre (il faut tenir une durée standard, en totale opposition au temps flottant de Rivette). Bonitzer cherche à retrouver cette ambiance fantastique et fantomatique qui peuplait certains films de Rivette, mais rien n'est vraiment envoûté dans le film et la relation entre cette pigiste et ce peintre lorgne vers tout un pan du cinéma psychologique des années 1950 (allez, je balance l'influence : Hitchcock) mais c'est très laborieux. Plus que cela, ce sont les voix qui ne vont pas. La voix de tête de Sara Giraudeau face au ton sourd et enfumé de Nicolas Duvauchelle. Il faut du temps pour comprendre ce qu'ils se disent.

Docteur ? (Tristan Séguéla, 2019)
Je termine avec une comédie de Noël plutôt marrante sur un sujet décidément très actuel : l'uberisation de la société : comme le livreur de Sorry we missed you de Ken Loach, comme le chauffeur VTC de Gloria mundi de Robert Guédiguian, le petit jeune de Docteur livre de la bouffe à des clients pas toujours très agréables (mention spéciale à l'ignominie du personnage de Franck Gastambide). Je ne connaissais pas le jeune acteur Hakim Jemili qui dispense une chouette naïveté à son personnage de livreur face à Michel Blanc parfait en ronchon alcoolo. Certes, le film en fait des tonnes, certains gags sont très vulgaires (mais j'aime ça les gags vulgaires), c'est très calibré et l'essentiel est là : j'ai ri.

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