vendredi 1 février 2019

Laura (Otto Preminger, 1944)

L'appartement est scruté dans ses moindres détails, tableaux, horloges, masques, sculptures, bibelots, la sophistication du lieu rend perplexe Mark McPherson (Dana Andrews), pardessus et chapeau, cigarette à la bouche. Ce tout premier plan de Laura est filmé dans sa continuité, un plan séquence qui commence sur une statue, entame un travelling sur la droite et revient sur la gauche pour exposer non seulement les détails mais peut-être les indices. Enfin, cela on ne le sait pas en début de film, seul l'inspecteur McPherson pourra le comprendre.

Il vient enquêter sur la mort de Laura Hunt annoncée par une voix off, celle de Waldo Lydecker (Clifton Webb), il est pour l'instant assis dans sa baignoire, nu comme un ver, en train d'écrire un article sur une machine à écrire. Flamboyant, Waldo ne va cesser de houspiller le policier et ça commence par un « ne touchez pas à ça ». Waldo est le personnage aux répliques sanglantes, ce qui rend le film si croustillant, on croirait entendre une de ces langues de vipère qui pullulent à Hollywood, Waldo exerce ce délicat métier de critique qui fait et défait les carrières.

Entre Waldo (qui va s'habiller devant lui) et McPherson, les rapports d'inimitié sont immédiats mais le premier ne peut plus se détacher du second. Waldo ne supporte pas par exemple que le policier joue à ce petit jeu de patience à billes. « C'est ma méthode pour enlever le stress, vous voulez essayer ? » répond McPherson sans esquisser le moindre sourire. Si la censure n'avait pas tant sévit à Hollywood, l'homosexualité de Waldo ne serait pas restée dans le non-dit, en l'état son aspect queer est déjà important et décuple le plaisir du film.

Jusqu'à présent, tout le monde a beaucoup parlé de Laura Hunt, il est temps enfin de la découvrir, dans un flash-back puisqu'elle est morte assassinée de deux coups de fusil. Laura (Gene Tierney) quémande sa signature à Waldo pour une publicité. L'homme, en train de prendre son déjeuner dans un restaurant, ne prend même pas la peine de lever les yeux de son plat. Il la prend de haut puis s'en veut, va la retrouver à son travail, elle lui rend la pareille, daignant à peine lever les yeux. Ils étaient faits pour s'entendre entre snobs.

Mais Laura est pour l'instant mal dégrossie, Waldo va la façonner à son image. Cela passe non seulement par le physique (sonnant comme une métaphore de la vie de Gene Tierney à Hollywood) mais aussi par ses goûts. Waldo invente un personnage et la loge dans un appartement qui ressemble en de nombreux points au sien, une réplique du sien, là aussi remplie de bibelots (le décorateur s'en est donné à cœur joie). McPherson écoute ce récit avec une fascination quasi morbide ce qui lui vaudra une réflexion de Waldo qui se demande s'il ne tombe pas amoureux d'un cadavre.

Il avait réussi à manipuler sa marionnette et parvenu à faire éconduire son amant, un peintre – celui qui a fait ce portrait dans le générique – grâce à ses diatribes, mais maintenant que Laura est modelée, elle vole de ses propres ailes et s'entiche, non pas de Waldo, mais d'un demi mondain Shelby Carpenter (Vincent Price). Belle carrure, larges épaules mais petit cerveau « je ne suis spécialiste en rien, mais j'en sais un peu sur tout » dit-il ironiquement à l'inspecteur. Je ne savais pas à quel point Vincent Price était si grand, à côté des deux autres et de Gene Tierney, il détonne.

Ainsi dans Laura, tout le monde est amoureux de Laura, trois physiques et trois temporalités. Waldo représente le passé, ce temps révolu où elle était une jeune fille, Shelby est le présent, lui qui affirme être son fiancé, McPherson est son futur. Le récit prend en mi-temps une tournure inattendue (en tout cas pour moi qui découvrais le film). Ce twist central peut aussi être vu comme un flash-forward du flic, succédant au flash-back de Waldo. McPherson est dans son rêve et il imaginerait Laura vivante, il la séduirait et ils tomberaient amoureux.


Après tout, la mise en scène sophistiquée d'Otto Preminger permet de s'aventurer dans les méandres du narration et finalement de laisser de côté l'aspect primitif du récit, savoir qui est le meurtrier. Ce petit jeu du chat et de la souris me plaît, je ne cherche jamais à trouver qui a fait quoi, qui a tué qui. Au contraire, j'aime me laisser manipuler comme Waldo manipule le destin de Laura. McPherson est une variation d'Hercule Poirot mais plus jeune, plus sexy, plus animal. Le genre d'homme que Laura n'avait encore jamais rencontré. Pas étonnant qu'elle ait succombé.






















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