samedi 9 février 2019

Poil de carotte (Julien Duvivier, 1932)

Sept ans après, Julien Duvivier met en scène un second Poil de carotte sonore et parlant. L'histoire ne change pas, elle suit le parcours estival du jeune François Lepic (Robert Lynen), rentré chez lui pour les vacances d'été. Son instituteur a remarqué que dans sa dernière composition de français, François a écrit ce qu'il pense de la famille « la famille est une réunion sous un même toit de plusieurs personnes qui ne peuvent pas se sentir ». Navré, l'enseignant recommande tout de même à l'enfant d'aimer sa maman.

A la gare, ce sera son papa Monsieur Lepic (Harry Baur) qui est venu le chercher en charrette à cheval. C'est lui qui ouvre le film dans un plan séquence où la caméra suit Monsieur Lepic qui se prépare pour la chasse. On ne voit pas son épouse mais on l'entend, cette voix de crécelle qui donne des conseils à son mari, conseils qu'il prendra bien soin de ne surtout pas suivre et de ne pas dire une seul mot à sa femme. Il fait chaud dit-elle, tu n'as pas besoin de veste. Lui de mettre sa veste. Le ton des premières séquences de Poil de carotte est enjoué, celui d'une comédie.

Tandis qu'il est à la gare pour récupérer ses deux fils, Poil de carotte et Félix (Maxime Fromiot), Madame Lepic (Catherine Fonteney) en profite pour martyriser sa vieille bonne Honorine (Madame Marty) qu'elle accuse de tous les maux et en premier de celui d'être trop vieille pour faire le ménage et tout le reste. Preuve à l'appui, cette assiette pourvue d'une trace de doigt, celui de Madame Lepic qui tient l'assiette. La patronne a de toute façon décidé d'engager une nouvelle bonne, Annette (Christiane Dor) qui croise Monsieur sans savoir qui il est.

La fameuse séquence des poules où Poil de carotte est contraint par sa mère d'aller dehors la nuit est assez vite expédiée mais joue sur l'amorce de la description des tourments de l'enfant par sa mère. Poil de carotte fait le fanfaron, clame qu'il n'aura pas peur. La peur s'installe avec l'apparition d'une farandole de fantômes qui coïncide avec sa mère qui surveille de l'autre côté de la vitre de la porte fenêtre. Madame Lepic observe avec une évidente joie la souffrance de son dernier fils, et comme Monsieur Lepic en début de film, tout le monde reste muet devant cela.

L'enjeu du film est d'inverser cette tendance et puisque contrairement à 1925, ce Poil de carotte parle et il faut que Monsieur Lepic puisse enfin trouver des paroles rassurantes pour ce fils « qui n'était pas voulu » comme l'expliquer Honorine à sa remplaçante Annette. Cette dernière va prendre en charge son patron pour qu'il écoute son fils, comprenne les manigances de son épouse et commence enfin à régner dans sa maisonnée. Cette absence d'autorité est paradoxale car Lepic brigue le mandat de maire mais il ne sait pas être père.

Ce qui change radicalement entre les deux versions est que ce Poil de carotte ajoute un personnage absent de 1925, le parrain de François (Louis Gauthier). Ce parrain est un hédoniste et pour tout dire, il semble vivre en dehors des canons établis par les Lepic. Sa ferme est un havre de paix, un Eden essentiellement peuplé d'animaux (canards, cochons ou vaches) qui vivent en liberté. Lui-même est célibataire. Pas étonnant que Poil de carotte choisisse de s'y réfugier, pas étonnant qu'il accepte de se confier à ce parrain libre, le seul avec Annette qui daigne l'écouter.

Ce qui demeure dans ce récit est le vol par Félix et sa sœur Ernestine (Simone Aubry) au visage ingrat, est le vol de l'argent de leur mère. Cette fois Félix ne vole pas par amour, pas de jeune femme délurée dans le récit. Il vole, ainsi que sa sœur qui le fait chanter, par pure méchanceté. Quand leur mère accusera Poil de carotte du vol, ils laisseront faire non sans un sourire sardonique. Mais plus tard, ils feront preuve d'une grande ingratitude pour cette mère qui les a pourtant tant choyés, protégés et gâtés. Le revers de la médaille de sa mesquinerie.


Cette ingratitude est montrée quand Monsieur Lepic est enfin devenu maire de son village. Madame Lepic espère se montrer, elle qui rêve de s'élever dans le monde. Pour eux deux, c'est un moment de fête mais pour Poil de carotte c'est la fin de sa vie, il veut se tuer puisque personne ne s'intéresse à lui, même sa mère refuse de le martyriser. Là encore, le parrain débrayé et mal rasé, mais le seul vraiment libre de tout le film, va remettre à sa place ce père qui manque à ses devoirs malgré sa promesse. Gloire aux hédonistes.

























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