dimanche 3 février 2019

Poil de carotte (Julien Duvivier, 1925)

Julien Duvivier a tourné deux Poil de carotte, le premier est un film muet où il réalise une adaption fidèle du roman de Jules Renard tout en prenant soin d'expérimenter. Sa Madame Lepic (Charlotte Barbier) semble tout droit sortie d'une film expressionniste allemand. Elle semble porter un masque, sa posture est figée dans un mépris pour son fils et son apparence est repoussante, les sourcils qui se rejoignent et une moustache importante au dessus des lèvres. Il est évident que le modèle de cette femme est le Nosferatu de Murnau.

Dans sa robe noire qui l'enveloppe, Madame Lepic est une sinistre personne. Quand elle esquisse un sourire, on dirait qu'elle va engloutir le monde, elle tient ses mains jointes sur son estomac, pile à hauteur d'enfant, prête à étrangler son fils le petit François (André Heuzé) qu'elle juge « bête, menteur et laid », rien que ça. A ses amies du village venues prendre le thé et cancaner à qui mieux-mieux qui s'étonnent de ne voir que des photos de Félix (Fabien Haziza), l'aîné des Lepic, elle donne cette explication simple.

La petite famille Lepic est ainsi décrite. Le père, Monsieur Lepic (Henry Krauss) est annoncé comme « indifférent et égoïste » au sort de ses trois enfants, Félix, Ernestine la cadette (Renée Jean) et François surnommé Poil de carotte, le visage couvert de taches de rousseur, seule indication de son aspect physique. En noir et blanc on ne voit pas ses cheveux roux. Mais sa tignasse part dans tous les sens comme le gamin qui saut te un cabri quand son père lui demande de l'accompagner à la chasse.

L'injustice que subit Poil de carotte est apparente pour tous sauf pour ce père qui se cantonne à bougonner derrière sa barbe, à fumer sa pipe et à partir laisser cette mère enserrer l'enfant. Au lieu de la chasse, il ira à la ferme chercher de la crème, au lieu de rester à table, il ira fermer l'enclos des poules. Julien Duvivier expérimente les transparences d'image pour figurer la peur du noir, des visages déformés, de corps anamorphosés qui déchirent l'imaginaire du garçon dans un jeu de regard angoissant.

Le film est constitué d'une série de saynètes sur les brimades subies. De l'humiliation la plus crasse, Poil de carotte ne trouve pas son pot et doit chier dans la cheminée, aux corvées sous les quolibets récurrentes de sa fratrie, Félix et Ernestine apparaissent tels des fantômes, le cinéaste déploie les surimpressions et les transparences, François est multiplié dans le cadre pour bien marquer l'ampleur des tâches assignées par sa mère au gamin. La seule à soutenir l'enfant, à le consoler et à lui trouver des divertissements est la petite bonne Annette (Lydia Zaréna).

Elle est l'incarnation du Bien, elle observe le comportement maléfique de Madame Lepic, elle n'ose pas protester mais elle va cherche à modifier « l'indifférence et l'égoïsme » de Monsieur Lepic. Ça prendra du temps puisque son fils veut en finir avec la vie, loin de sa maison où il est rejeté (la scène a été filmée à Saint-Jean en Royans), il pense à la seule solution : « la grange, une poutre, une corde». Julien Duvivier joue sur un suspense insoutenable, accélérant le rythme de son récit dans le dernier quart d'heure.


Une autre femme va débarquer, c'est Maria (Suzanne Talba) annoncée dans les intertitres comme chanteuse réaliste. Elle est une mangeuse d'homme et a mis le grappin sur Félix. Le pauvre naïf ne se doute de rien. Elle va le forcer à voler l'argent de Monsieur Lepic. Le vol est mis en scène avec une grande modernité, Julien Duvivier invente un split screen avec des effets de miroirs, tout est dans la suggestion tandis que le cadre se divise en deux ouvrant successivement les points de vue divergents. Voilà un beau film inventif, la suite bientôt avec le Poil de carotte parlant de 1932.

 



























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