lundi 11 février 2019

Assassin sans visage (Richard Fleischer, 1948)

« Taxi, suivez cette voiture ». La phrase est le cliché par essence du film policier, de la filature qui s'engage entre un policier et celui qu'il pourchasse. Dans Assassin sans visage, Richard Fleischer et son scénariste Anthony Mann ne se plient pas à cette rengaine mais dévient vers une autre voix lançant un récit sur les chapeaux de roue. La phrase est prononcée par Ann Gorman (Dorothy Patrick) et elle a décidé de suivre le lieutenant de police Harry Grant (William Kundingan).

Elle se sent obligée de le suivre parce qu'il refuse, avec un mépris et un dédain ostentatoires, de lui donner la moindre information sur le serial killer qui sévit dans la ville. Déjà six meurtres et aucun suspect. Ann Gorman est journaliste, enfin elle bosse pour un journal à sensations, une sorte de Nouveau Détective de 1948. « You want to print gory news », vous voulez des nouvelles sanglantes lui réplique Grant. Faut dire qu'elle semble avoir un nom prédestiné, Gorman.

Au tout du film, le spectateur est dans le même niveau de connaissance que Ann : rien ou presque. Elle est sous la pluie avec son pardessus de plastic transparent, elle attend que Grant se rende dans ce bar nommé The Tavern pour pouvoir écrire son article. Elle tombe sur le patron du lieu, un type épatant téléphone accroché à l'oreille (gag récurrent) qui passe son temps à faire des paris hippiques. Puis, elle engage la conversation avec Art (Jeff Corey), l'adjoint de Grant.

Lui non plus ne sait rien. Alors va pour la filature quand un nouveau crime est commis. Premier point : le meurtrier frappe les soirs de pluie. Deuxième point : il écrit des lettres qu'il laisse sur les lieux du crime et les signe The Judge. Notre criminel prétend rendre justice. Troisième indice : il dépose, sans soute en toute conscience, un élément personnel, comme une signature, un indice pour provoquer la police. Quatrième point : il tue ses victimes en les étranglant.

C'est avec ça que Grant doit mener son enquête. Mais aussi Ann sur le dos constamment. Elle a des « relations » (connections en VO) qui lui permettent de débarquer chez lui, sur le lieu d'un nouveau crime ou à The Tavern pile au moment où il arrive pour prendre un verre. Toutes ces rencontres sont autant de moment d'un humour discret au beau milieu d'un film noir, tout comme ce strip-tease dans sa chambre avant qu'il n'aille se coucher et demande à Ann d'éteindre la lumière avant de partir.


Ce sont toutes ces petites bifurcations, ces chemins déviés hors de la route parsemée de clichés et des lieux communs et de sa grande brièveté qui donnent ce ton singulier à Assassin sans visage. Le dernier exemple est le portrait robot du meurtrier impossible à faire car personne ne l'a vu. Mais dès qu'il apparaît enfin à l'écran (le suspense est maintenu jusqu'en bout de film), ce affreux jojo porte des lunettes cerclés, comme en portera L'Etrangleur de Rillington Place 22 ans plus tard.

















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