dimanche 24 février 2019

Grâce à dieu (François Ozon, 2019)


Pour son rôle de mère butée, de monstre d'incompréhension incapable de voir la souffrance de sa fille, Karin Viard a reçu un César dans Les Chatouilles. La composition de l'actrice est supérieure au film. Le cinéma français s'attaque donc à la pédophilie, Les Chatouilles, Un amour impossible de Catherine Corsini, Mauvaises herbes de Kheiron et cette semaine Grâce à Dieu. A cette conférence des cardinaux dont parlent les journaux en ce moment, le Pape François a dit que les prêtres pédophiles étaient « l'instrument de Satan », réponse fallacieuse alors que c'est le fonctionnement de l'église catholique qui permet ces crimes.

C'est Bernard Verley qui incarne dans le film de François Ozon ce père Bernard Preynat. L'acteur rohmérien, celui qui fut le général fantasque des adaptations loufoques d'Agatha Christie pour Pascal Thomas, campe un homme éteint, à la douceur qui cadre mal avec le mal qu'il a fait aux scouts dont il avait la charge pendant une vingtaine d'années. François Ozon parvient faire échapper son film du créneau « dossier de l'écran » en refusant le manichéisme tout en démontrant clairement l'hypocrisie de l'église, ce qui est une bonne surprise car ses quatre films précédents étaient décevants (Jeune et jolie, Une nouvelle amie, Frantz, L'Amant double).

La folle idée de mise en scène de François Ozon est le jeu de piste, comme une enquête qui ne dirait pas son nom où les victimes vont apprendre à connaître l'existence les unes des autres par hasard. Commencer par le personnage de Melvil Poupaud rassure sur la capacité du cinéaste à créer des figures tout à la fois concrètes (on sait tout d'eux dès les premières scènes) et secrets (le film va en révéler des dizaines). Cet Alexandre est le parfait catholique de droite, époux d'une Marie (Aurélia Petit, géniale) et papa de cinq enfants. La famille tout droit sortie d'une caricature.

Mais ce que réserve la première demi-heure de Grâce à dieu est une variation extraordinaire des Liaisons dangereuses made in Lyon. Le récit d'Alexandre est polyphonique et épistolaire, fait de dialogues qui puent le catholicisme bon teint, le béni oui-oui et le faux-cul. On entend des voix doucereuses, Alexandre, Monseigneur Barbarin (François Marthouret), de sa secrétaire Régine Maire (Martine Erhel), le père Preynat, mais c'est l'horreur d'un passé d'enfant violé par le curé qui est décrit dans ces courriers et missives entre quatre.

Cette correspondance a pour but de se plaindre que ce curé pédophile (ou pédosexuel comme demande avec cynisme de le dire Barbarin) exerce encore alors que le curé ne nie aucun des faits (là encore, pas de soubresauts scénaristiques, pas d'engueulades entre personnages, pas de confrontations outrancières). C'est ce que demande Alexandre. Barbarin et le diocèse ont un autre but : encore une fois étouffer l'affaire. Pour ça, une méthode, le pardon, la prière et qu'Alexandre serre la main du curé. La scène la plus terrible.

Cette poignée de mains semble surréaliste, on va dire que la réalité dépasse la fiction et les nouveaux amis d'Alexandre n'y croient pas. Car François Ozon tente une chose délirante (et ça marche) l'anti slasher. Dans un slasher, les jeunes héros disparaissent au fur et à mesure quand leur bourreau sévit. Dans Grâce à dieu, les victimes commencent enfin venir à l'écran quand on découvre l'ampleur des dégâts du curé pédophile. Certes j'exagère un peu la comparaison inversée, mais le film prend parfois des allures de film d'horreur. A Hollywood, on l'aurait tourné ainsi.

Le récit se prolonge avec François (Denis Ménochet), avec Gilles (Eric Caravaca) et Emmanuel (Swan Arlaud). Le « mais c'est le p'tit Emmanuel » quand le vieux curé voit tant d'années après sa victime adulte est un crève-cœur. Ces personnages, trois nouvelles victimes servent à prolonger, entourer et structurer le récit d'Alexandre. Quelle que soit la portée politique et sociale du film, elle est profonde et importante, ce qui plaît dans Grâce à dieu est cette mise en scène du récit et, comme toujours chez François Ozon, ce plaisir des acteurs à jouer. Ça n'a l'air de rien comme ça de le dire mais c'est essentiel.

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