La
trempette. Comme beaucoup de gens de mon âge, j'ai découvert Qui
veut la peau de Roger Rabbit en version française avec ce mot
qu'utilise le Juge Demort – Doom en anglais (Christopher Lloyd), et
j'adore ce mot qui fait si enfantin, trempette, alors que le résultat
pour les personnages de dessin animé est terrible. La trempette (dip
en anglais) est un mélange verdâtre de produits chimiques contenu
dans un bidon, le Juge, sans autre forme de procès, prend le toon et
le plonge là-dedans, le dissolvant en quelques secondes. Avec sa
longue veste noire, ses lunettes, ses gants, le Juge Demort ressemble
physiquement au salopard de nazi, le Major Toht (Tod en allemand veut
dire mort) dans Indiana Jones et les aventuriers de l'arche
perdue.
Demort
veut la peau de Roger Rabbit (voix de Charles Fleischer) accusé
d'avoir tué Marvin Acme (Stubby Kaye). Roger est un acteur à la
gentillesse extrême, comme le montre le dessin animé d'ouverture où
son personnage doit garder Baby Herman. Une ouverture en forme de
cartoon comme Warner en produisait où la cuisine se déforme,
devient avec tous les ustensiles le lieu de tous les dangers pour la
lapin à l'élasticité d'un Tex Avery, au costume d'un Disney et au
visage d'un Looney Tunes. « Coupez », dit le réalisateur,
un humain de chair et d'os quand le lapin qui reçoit un frigo sur la
tronche n'est pas capable de faire apparaître des étoiles comme le
script le demandait. Baby Herman éructe comme un adulte, s'allumant
un cigare et mettant une main à la fesse d'une assistante.
Les
apparences sont trompeuses, un bébé devient, hors caméra, un
monstre, et Roger Rabbit, ce lapin a priori crétin est mariée à la
plus sexy des toons, même Betty Boop, engoncée dans son aspect noir
et blanc estime que Jessica Rabbit est une femme chanceuse. Quand
Jessica Rabbit est accusée d'être une femme de petite vertu par le
détective privé Valiant (Bob Hoskins), elle répond tout simplement
« Je ne suis pas mauvaise, j'ai été dessinée ainsi ».
La longiligne créature blonde à la voix de Kathleen Turner est
jugée sur son physique de vamp par le gras et poilu détective.
Valiant et Jessica sont deux personnages stéréotypes du film noir
plongés dans le monde de l'animation, ils sont sujets aux affres du
business à Hollywood où la guerre entre producteurs fait rage. Qui
veut la peau de Roger Rabbit scrute les coulisses de l'industrie
du cinéma.
Pour
les spectateurs enfants, les premières minutes amusent avec la
multitude de personnages de toon venus à la fois des Merry Melodies
et de Walt Disney, ils peuplent le studio Maroon comme si de rien
n'était. Ici des vaches se préparent à un casting, là des
accessoires s'échappent de leur malle, ailleurs Dumbo vient
quémander ses cacahuètes « le meilleur, pas besoin de les
payer, ils travaillent pour des cacahuètes » dit Maroon (Alan
Tilvern), le mogul mélange de tous les producteurs pour qui le
cinéma est avant tout une industrie. Pour les spectateurs adultes,
un film d'horreur, genre slasher, commence à se dessiner avec les
sales manigances de Demort pour en finir avec Roger Rabbit et tous
les toons par ailleurs. Il veut les éradiquer avec sa trempette, il
veut détruire Toontown, la ville animée colorée et délirante, où
ils habitent en marge de Hollywood de briques et d'écrans.
Détruire
Toontown pour faire quoi à la place ? Construire des
autoroutes, répond le Juge Demort à Valiant. Le détective se
déplace en trolley-bus (symbole du film noir), même quand il n'a
pas d'argent pour payer son billet, il resquille, s'assoit à côté
de gamins pauvres à qui il mendie des clopes (encore une preuve que
le film n'est pas pour les enfants). Puis il se déplacera dans un
taxi en animation, en compagnie de Roger Rabbit. Un taxi facétieux
et qui n'a pas la langue dans sa poche, jurant à chaque réplique,
pas un personnage de dessin animé pour gamins. Les
autoroutes dans l'univers de Robert Zemeckis sont le symbole des gros
films sans âmes où les spectateurs achètent leur billet sans
réfléchir. Si on prolonge la métaphore, cette trempette est l'idée
de ne plus voir les vieux films, ceux d'avant 1947 quand se déroule
Qui veut la peau de Roger Rabbit.
Le film a 30 ans et cette prédiction « autoroute et
trempette » semble plus prégnante que jamais.
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