mardi 21 août 2018

Qui veut la peau de Roger Rabbit (Robert Zemeckis, 1988)

La trempette. Comme beaucoup de gens de mon âge, j'ai découvert Qui veut la peau de Roger Rabbit en version française avec ce mot qu'utilise le Juge Demort – Doom en anglais (Christopher Lloyd), et j'adore ce mot qui fait si enfantin, trempette, alors que le résultat pour les personnages de dessin animé est terrible. La trempette (dip en anglais) est un mélange verdâtre de produits chimiques contenu dans un bidon, le Juge, sans autre forme de procès, prend le toon et le plonge là-dedans, le dissolvant en quelques secondes. Avec sa longue veste noire, ses lunettes, ses gants, le Juge Demort ressemble physiquement au salopard de nazi, le Major Toht (Tod en allemand veut dire mort) dans Indiana Jones et les aventuriers de l'arche perdue.

Demort veut la peau de Roger Rabbit (voix de Charles Fleischer) accusé d'avoir tué Marvin Acme (Stubby Kaye). Roger est un acteur à la gentillesse extrême, comme le montre le dessin animé d'ouverture où son personnage doit garder Baby Herman. Une ouverture en forme de cartoon comme Warner en produisait où la cuisine se déforme, devient avec tous les ustensiles le lieu de tous les dangers pour la lapin à l'élasticité d'un Tex Avery, au costume d'un Disney et au visage d'un Looney Tunes. « Coupez », dit le réalisateur, un humain de chair et d'os quand le lapin qui reçoit un frigo sur la tronche n'est pas capable de faire apparaître des étoiles comme le script le demandait. Baby Herman éructe comme un adulte, s'allumant un cigare et mettant une main à la fesse d'une assistante.

Les apparences sont trompeuses, un bébé devient, hors caméra, un monstre, et Roger Rabbit, ce lapin a priori crétin est mariée à la plus sexy des toons, même Betty Boop, engoncée dans son aspect noir et blanc estime que Jessica Rabbit est une femme chanceuse. Quand Jessica Rabbit est accusée d'être une femme de petite vertu par le détective privé Valiant (Bob Hoskins), elle répond tout simplement « Je ne suis pas mauvaise, j'ai été dessinée ainsi ». La longiligne créature blonde à la voix de Kathleen Turner est jugée sur son physique de vamp par le gras et poilu détective. Valiant et Jessica sont deux personnages stéréotypes du film noir plongés dans le monde de l'animation, ils sont sujets aux affres du business à Hollywood où la guerre entre producteurs fait rage. Qui veut la peau de Roger Rabbit scrute les coulisses de l'industrie du cinéma.

Pour les spectateurs enfants, les premières minutes amusent avec la multitude de personnages de toon venus à la fois des Merry Melodies et de Walt Disney, ils peuplent le studio Maroon comme si de rien n'était. Ici des vaches se préparent à un casting, là des accessoires s'échappent de leur malle, ailleurs Dumbo vient quémander ses cacahuètes « le meilleur, pas besoin de les payer, ils travaillent pour des cacahuètes » dit Maroon (Alan Tilvern), le mogul mélange de tous les producteurs pour qui le cinéma est avant tout une industrie. Pour les spectateurs adultes, un film d'horreur, genre slasher, commence à se dessiner avec les sales manigances de Demort pour en finir avec Roger Rabbit et tous les toons par ailleurs. Il veut les éradiquer avec sa trempette, il veut détruire Toontown, la ville animée colorée et délirante, où ils habitent en marge de Hollywood de briques et d'écrans.


Détruire Toontown pour faire quoi à la place ? Construire des autoroutes, répond le Juge Demort à Valiant. Le détective se déplace en trolley-bus (symbole du film noir), même quand il n'a pas d'argent pour payer son billet, il resquille, s'assoit à côté de gamins pauvres à qui il mendie des clopes (encore une preuve que le film n'est pas pour les enfants). Puis il se déplacera dans un taxi en animation, en compagnie de Roger Rabbit. Un taxi facétieux et qui n'a pas la langue dans sa poche, jurant à chaque réplique, pas un personnage de dessin animé pour gamins. Les autoroutes dans l'univers de Robert Zemeckis sont le symbole des gros films sans âmes où les spectateurs achètent leur billet sans réfléchir. Si on prolonge la métaphore, cette trempette est l'idée de ne plus voir les vieux films, ceux d'avant 1947 quand se déroule Qui veut la peau de Roger Rabbit. Le film a 30 ans et cette prédiction « autoroute et trempette » semble plus prégnante que jamais.




























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