samedi 18 août 2018

Eté précoce (Yasujiro Ozu, 1951)

Toute la famille attend que Noriko se marie, mais elle ne veut pas. Eté précoce est le récit de ce refus. Eté précoce est un film sur l'éclatement. En un peu plus de deux heures, Yasujiro Ozu va montrer comment une famille très unie va se défaire. Mais le cinéaste n'en fait un enjeu dramatique voire mélodramatique, c'est au contraire presque une comédie. Le sourire toujours aussi énigmatique de Setsuko Hara illumine Eté précoce, comme elle irradiait déjà Le Repas de Mikio Naruse de la même époque au sujet et traitement proches.

Mais avant d'éclater, la famille de Noriko était unie. Le noyau dur de la famille c'est bien sûr le père et la mère (Ichiro Sugai et Chieko Higashiyama) tous deux en costumes traditionnels. Ils habitent avec leurs deux enfants : d'abord le fils, Koichi (Chishu Ryu), médecin marié à Aya (Chikage Awashima) avec qui il a deux enfants espiègles qui serviront à Ozu de modèle pour faire ses deux diablotins dans Bonjour. Ensuite la fille, Noriko (Hara), 28 ans toujours célibataire. Le film commence sur un repas matinal. Mais déjà quelque chose cloche, personne ne mange en même temps.

« Depuis la guerre, les femmes sont impudentes », dit le vieux père. « Non, elles sont devenues normales », lui répond Noriko avec son plus beau sourire. Tout dans Eté précoce tend vers la fin de l'unité familiale. C'est déjà le basculement des habitudes, adieu la tradition. Ainsi quand le vieil oncle sourd vient rendre une visite, les deux gamins se moquent de lui. Puis lors de la représentation du kabuki, Yasujiro Ozu ose un plan qui résume ce changement : une voiture moderne côtoie une gravure ancienne. Il termine sa séquence par un travelling avant sur le théâtre vide.

Car désormais la jeunesse préfère aller dans un restaurant moderne où l'on s'assoit sur des chaises avec un mur orné d'une peinture moderne marquant le fossé grandissant des générations. Noriko ne veut épouser pas son patron, pourtant un bon parti. On l'incite. Elle refuse. Elle préfèrera un collègue de son frère, Kenkichi (Hiroshi Nihonyanagi), veuf qui vit avec maman et papa d'une petite fille. Une bonne pâte qui va justement déménager et changer de ville. Le salut de Noriko.

Mais Yasujiro Ozu avait une longueur d'avance sur son finale. Chaque personnage s'était créé sa cellule propre. Le fils a son cabinet de médecin, la fille a son bureau de secrétariat et le père s'occupe de ses canaris. Trois canaris dans trois cages séparées. Tout cela constitue une métaphore discrète sur ses trois enfants prisonniers. Le film parle d'un autre fils disparu à la guerre encore dans toutes les mémoires des Japonais quand le cinéaste tourne son film


Eté précoce avait commencé par un plan fixe d'un bord de mer où un chien traverse le cadre pour en sortir sur la droite, plan que suivait immédiatement le père nourrissant ses canaris. Ce plan du chien trouve un écho dans un plan en travelling où Noriko dit au revoir à sa belle sœur. Elles sont d'abord de dos puis font face à leur destin. Il sera temps ensuite de faire une dernière photo familiale, pure illusion, ultime souvenir. Une porte ouverte vers une autre vie.






















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