Toute
la famille attend que Noriko se marie, mais elle ne veut pas. Eté
précoce est le récit de ce refus. Eté précoce est un
film sur l'éclatement. En un peu plus de deux heures, Yasujiro Ozu
va montrer comment une famille très unie va se défaire. Mais le
cinéaste n'en fait un enjeu dramatique voire mélodramatique, c'est
au contraire presque une comédie. Le sourire toujours aussi
énigmatique de Setsuko Hara illumine Eté précoce, comme
elle irradiait déjà Le Repas de Mikio Naruse de la même
époque au sujet et traitement proches.
Mais
avant d'éclater, la famille de Noriko était unie. Le noyau dur de
la famille c'est bien sûr le père et la mère (Ichiro Sugai et
Chieko Higashiyama) tous deux en costumes traditionnels. Ils habitent
avec leurs deux enfants : d'abord le fils, Koichi (Chishu Ryu),
médecin marié à Aya (Chikage Awashima) avec qui il a deux enfants
espiègles qui serviront à Ozu de modèle pour faire ses deux
diablotins dans Bonjour. Ensuite la fille, Noriko (Hara), 28 ans
toujours célibataire. Le film commence sur un repas matinal. Mais
déjà quelque chose cloche, personne ne mange en même temps.
« Depuis
la guerre, les femmes sont impudentes », dit le vieux père.
« Non, elles sont devenues normales », lui répond Noriko
avec son plus beau sourire. Tout dans Eté précoce tend vers la fin
de l'unité familiale. C'est déjà le basculement des habitudes,
adieu la tradition. Ainsi quand le vieil oncle sourd vient rendre une
visite, les deux gamins se moquent de lui. Puis lors de la
représentation du kabuki, Yasujiro Ozu ose un plan qui résume
ce changement : une voiture moderne côtoie une gravure ancienne. Il
termine sa séquence par un travelling avant sur le théâtre vide.
Car
désormais la jeunesse préfère aller dans un restaurant moderne où
l'on s'assoit sur des chaises avec un mur orné d'une peinture
moderne marquant le fossé grandissant des générations. Noriko ne
veut épouser pas son patron, pourtant un bon parti. On l'incite.
Elle refuse. Elle préfèrera un collègue de son frère, Kenkichi
(Hiroshi Nihonyanagi), veuf qui vit avec maman et papa d'une petite
fille. Une bonne pâte qui va justement déménager et changer de
ville. Le salut de Noriko.
Mais
Yasujiro Ozu avait une longueur d'avance sur son finale. Chaque
personnage s'était créé sa cellule propre. Le fils a son cabinet
de médecin, la fille a son bureau de secrétariat et le père
s'occupe de ses canaris. Trois canaris dans trois cages séparées.
Tout cela constitue une métaphore discrète sur ses trois enfants
prisonniers. Le film parle d'un autre fils disparu à la guerre
encore dans toutes les mémoires des Japonais quand le cinéaste
tourne son film
Eté
précoce avait commencé par un plan fixe d'un bord de mer où un
chien traverse le cadre pour en sortir sur la droite, plan que
suivait immédiatement le père nourrissant ses canaris. Ce plan du
chien trouve un écho dans un plan en travelling où Noriko dit au
revoir à sa belle sœur. Elles sont d'abord de dos puis font face à
leur destin. Il sera temps ensuite de faire une dernière photo
familiale, pure illusion, ultime souvenir. Une porte ouverte vers une
autre vie.
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