jeudi 12 novembre 2020

Que la bête meure (Claude Chabrol, 1969)

« Ta gueule ». Voici les premiers mots de Que la bête meure au milieu d'une longue séquence d'ouverture sans dialogues. C'est Jean Yanne qui les prononce à l'encontre de sa passagère Hélène (Caroline Cellier), elle vient de crier, la main sur la bouche, elle se retourne pour constater que l'enfant qu'ils viennent de percuter au milieu d'un village breton a été renversé. Paul, le personnage de Jean Yanne créé par le scénariste Paul Gégauff ne s'arrête pas. Il continue de rouler.

Cela se passe le 3 janvier. Trois mois plus tard, le père de l'enfant Charles Thénier (Michel Duchossoy) revient sur les lieux du drame. On imagine qu'il passait des vacances avec son fils. On découvre qu'il est veuf (il regarde un film en 8mm qu'il se projette). Il n'en viendra pas à bout, on frappe à la porte. Le commissaire chargé de l'enquête (Dominique Zardi) annonce qu'il n'a aucune piste, ce qui ne satisfait pas Charles. Il décide de mener ses propres investigations.

Le hasard et l'intuition sont les moteurs de l'enquête de Charles. L'intuition est celle qu'un garagiste est le conducteur qui a percuté son fils. Il fait le tour des garagistes, des épavistes pour chercher un pare-choc abimé. Il interroge toute une tripotée de gens. Chou blanc. Le hasard le mène, un jour de pluie, vers des paysans. Charles a embourbé sa voiture, les paysans se rappellent que cela est déjà arrivé trois mois plus tôt.

Cette fois, Charles Thénier tient une piste. Le fils du paysan se souvient qui était la passagère. Cette Hélène est actrice pour la télévision. Il parvient assez facilement à la retrouver, à l'aborder, à l'inviter à sortir avec lui. Chez lui, ils boivent du whisky autour d'une table surmontée d'un échiquier. Il faut admirer la métaphore du jeu d'échecs, Charles place ses pions pour traquer puis tuer le roi qui est Paul.

Charles change de nom pour approcher Hélène, il s'appelle désormais Marc Andrieu, ce qui par rapport aux personnages Charles, Paul et Hélène des films précédents de Claude Chabrol le change de statut. Il n'est plus la simple victime des deux autres, cela est déjà un peu dénoté plus tôt avec un cynisme certain : l'enfant marchait au milieu de la rue et aucun panneau n'indiquait ce croisement (le panneau est en train d'être installé quand Charles revient sur place).

Il ne s'agit pas pour Claude Chabrol et Paul Gégauff de disculper Paul mais de mettre les deux hommes sur un pied d'égalité. De prévoir leur première rencontre qui n'arrive qu'au bout d'une heure de film. Marc / Charles doit d'abord installer et inventer cette amourette avec Hélène, chaste pour commencer enfin consommée. Elle va l'inviter dans la grande demeure de Paul son beau-frère. Marc va enfin rencontrer la bête.

Rarement une séquence (en un seul plan dans un lent panoramique) n'aura été aussi remplie de tension que celle où Paul est attendu pour le déjeuner. Marc, Hélène, son mari, sa belle-sœur (Anouk Ferjac), son fils Philippe (Marc di Napoli) et la mère de Paul (Raymone) discutent de tout et de rien, surtout de rien. Des silences pesant émaillent cette conversation sans intérêt. Cela dure plusieurs minutes, c'est insoutenable.

Dehors la voiture se fait entendre. Le plan séquence s'interrompt pour couper l'assemblée en deux. La mère de Paul ne disait rien, son visage fermé s'illumine soudain, elle sourit et annonce avec une grande joie « C'est Paul ». Contrechamp sur tous les autres confis dans leur silence. La bête entre avec fracas dans la salle à manger, la voix haute, il avance avec rapidité et le repas dominical peut commencer pour une autre séquence incroyable.

Paul préside le repas, en bout de table. Il met la main sur la cuisse de la petite bonne qui sert le gigot. Il préside les discussions et se prend de lire un poème de sa femme. Sa lecture est humiliante, il lit avec sarcasme. Sa mère rigole bien. Puis c'est à son fils Philippe qu'il s'en prend, le traite de tous les noms, lui balance des patates à la gueule. Bonne ambiance ! Charles / Marc profite de l'occasion pour se rapprocher du gamin.

Le récit de l'enquête se double d'une confession intime, Charles note tout sur un carnet noir, avec un feutre rouge. Il le cache à peine. Il veut évidemment que Paul le lise. Ce journal intime est un défi d'intellectuel face à la force du fauve que représente Paul. Puisqu'il a un peu du mal à détruire Paul par la nature (quand ce dernier manque de tomber de la falaise, Charles l'aide), il tente de la détruire par la culture (ce récit un peu naïf de Marc).

Il faut séduire à tout prix, le jeune Philippe en devenant son mentor (Philippe semble épris de Marc), Hélène avec son corps (ils s'imbriquent à la Picasso dans un plan cubiste de leur deux visages) et Paul dans des promenades sous les magnolias du printemps. Il ne reste qu'au deuxième commissaire incarné par Maurice Pialat à tenter de remettre ce puzzle narratif dans le bon sens et de trouver qui a tué la bête. Toujours meneur du jeu, Charles explique tout dans un finale lyrique.









































1 commentaire:

Jacques Boudineau a dit…

Bon anniversaire, Jean.