mardi 17 novembre 2020

El (Luis Buñuel, 1953)

Dans un Mexique confis de bigoterie catholique, Luis Buñuel a la force d’être très clair : la religion rend fou. Dans le prologue de El, l’église contient en son sein Francisco (Arturo de Cordova) le Jeudi Saint, il porte la bassine d’eau pour laver les pieds des communiants. Ses yeux exorbités observent les chaussures de Gloria (Delia Garces), l’habituel fétichisme du pied de Luis Buñuel. Dans l’épilogue, Luis Buñuel place Francisco en état de pure folie dans un couvent, un asile où il est obligé de s’éloigner du monde et de Gloria.

Entre les deux, trois parties de durée égales (à peu près 20 minutes) sur la folie paranoïaque et jalouse de Francisco, cet aristocrate qui pense avoir toujours raison. Un riche propriétaire terrien, depuis plus de 150 ans, dit son avocat, le premier personnage à croiser le fer avec Francisco. Ce dernier refuse de vendre son terrain pour une exploitation minière. Il engueule, pis que pendre, son avocat, le traite avec brutalité d’incompétent, le renvoie à ses études sous les yeux de son majordome Pablo (Manuel Dondé).

Ce majordome est le pilier de la demeure gigantesque de Francisco. L’essentiel de El s’y déroule. De grandes pièces et un escalier double qui mène aux chambres à coucher. Les portes sont décorées de dessins de branches, mais quand la caméra de Luis Buñuel approche de ces branches, on découvre qu’elles ressemblent plutôt à des fouets, des badines qui serviraient, métaphoriquement, à fustiger ceux qui oseraient s’opposer à lui. Seul ce majordome obéit en tous points à son maître, avec une diligence extrême.

Pour exprimer toute la misogynie du maître des lieux, une séquence incroyable sur le renvoi d’une petite bonne. Pablo s’était mis l’idée d’exercer son droit de cuissage sur la petite bonne. Francisco entend des cris, des plaintes. Il demande ce qui se passe. La servante raconte que la majordome voulait la détrousser. Au lieu de défendre la jeune femme, il l’accuse d’être une catin. C’est donc elle qu’il renvoie. Avec ces deux séquences la cruauté de Francisco est mise en avant, sa folie également qui le pousse à choisir la mauvaise solution.

Cela Gloria ne le sait pas. Après l’admiration de ses pieds dans l’église, Francisco va tout faire pour la retrouver. Il y parvient facilement. Il veut la séduire, mais elle est fiancée à un ingénieur de son âge, Raul (Luis Beristain). Francisco les voit tous les deux dans un restaurant tout sourire. Il fomente son plan à ce moment-là. 10 minutes plus tard, ce plan est réitéré plus tard mais cette fois, Francisco parle à Gloria derrière une vitre. Dans cette succession très simple de plans en miroir, il est indiqué qu’il a pris la place de Raul et volé sa fiancée.

Au milieu du récit, Luis Buñuel inclut un long flash-back entre Gloria et Raul des mois après le mariage entre Francisco et Gloria. Ils se croisent par hasard, elle erre hagarde dans la rue, il manque de l’écraser en voiture. Elle monte et commence le long et douloureux récit de leur lune de miel. Un récit pavé de mauvais souvenirs où la jalousie de Francisco ne cesse de croître et ce dès le trajet en train qui les emmène vers leur villégiature. Francisco se bat avec une connaissance de Gloria croisé par hasard et finalement, il lui interdit de sortir de l’hôtel.

Au lieu de s’échapper avec Raul pour enfin vivre, elle rentre dans sa prison. On avait vu l’intérieur de la maison de Francisco, l’entrée de la propriété est semblable à celle d’une prison, une énorme porte cochère entourée de hauts murs. Gloria cherche des soutiens chez sa mère et son curé. Chacun arrive à la même conclusion : elle doit se soumettre à son mari. Ils la jugent durement notamment lors d’une soirée où ils estiment, de concert, qu’elle danse trop collée à un invité, alors que Francisco reste éloignée de la dame avec qui il danse.

La dernière partie est la plus délirante de El. Francisco poursuit sa jalousie démente en deux séquences miroir là encore. Dans la première, il autorise Gloria à faire une promenade, elle espérait aller au restaurant, il la coince sous les cloches d’une église et menace de la jeter de la tour. Plus tard, dans une église il croit que le prêtre comme les fidèles lui font le signe des cornes de cocu. La démonstration est faite, Luis Buñuel est on ne peut plus clair, c’est bien la religion, l’église et sa bigoterie qui ont créé cet esprit malade et toxique.
































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