samedi 3 octobre 2020

Monsieur Verdoux (Charles Chaplin, 1947)

 


Monsieur Verdoux marque l'arrivée de deux nouveautés dans le cinéma de Charles Chaplin. Fini les épithètes de vagabond, barbier, petit homme etc, désormais son personnage principal a un nom. Certes dans Le Dictateur, Charlie Chaplin jouait Hynkel, le nom du tyran était plus une onomatopée qu'un vrai nom, une variation sur Hitler et pour son autre personnage, il n'était que le barbier juif. Henri Verdoux est cependant très friand de pseudonymes, il prendra d'autres noms pour ses faux mariages, Varnay, Bonheur et Floray.

Les films précédents de Charlie Chaplin étaient toujours filmés au présent, les rares cas de visite du passé viennent de rêves (Charlot nudiste alias His prehistoric past), de jeux de théâtre (Charlot joue Carmen) ou de courts flash-back (l'ouverture du Dictateur). Monsieur Verdoux trouve la source de la bigamie meurtrière de son personnage éponyme dans la crise financière de 1929. Epouser des femmes fortunées puis les tuer et enfin les faire brûler dans un petit four au coin de son jardin, ce qui ne manque pas d'intriguer les voisins.

Pour son rôle de Verdoux, Charlie Chaplin apparaît avec une nouvelle moustache. Celle du vagabond arboré depuis 1914, sauf à de rares occasions quand son personnage n'existait pas encore, disparaît au profit d'une fine moustache grise qui note la classe sociale à laquelle il prétend appartenir. Sa tenue atteste de ce changement de position, costume cintré, chapeau feutre. Il est élégant, trop sans doute, il est parfait pour assoupir les soupçons de ses voisins et encercler ses futures victimes.

Son jeu s'en trouve immédiatement modifié. Tout passe désormais par la voix, plus encore que dans Le Dictateur avec les éructations de la logorrhée de Hynkel – sans aucun doute l'aboutissement du cinéma sonore chez Charles Chaplin – cette voix est douceâtre, jusqu'à l'excès. Charles Chaplin débite ses dialogues les lèvres pincées, à toute vitesse manière de ne pas laisser les épouses en placer une, manière d'occuper le terrain. Surtout, il s'affuble d'un petit rire aiguë, d'un accent qui accentue ses R et de mimiques sur son visage qu'il remue sans cesse.

Le récit, avec un grand sens du paradoxe et deux avant Sunset Boulevard, vient d'outre-tombe. Le premier plan montre la pierre tombale de Verdoux et sa voix dit « good evening » au spectateur. Savoir dès le début qu'il va mourir est la condition de ce long flash-back. Direction le le sud de la Franceavec sa première victime, Madame Grosnay (Isobel Elsom), venue visiter la maison pour l'écheter. Il s'agit dans cette séquence de montrer ses méthodes de séduction, un mélange de grande courtoisie, d'obséquiosité obsessionnelle et de rentre-dedans.

Avant cette démonstration, le film s'ouvre sur la famille Couvais dans le nord. L'une des membres de la famille, Thelma a vidé et fermé son compte en banque, la famille n'a plus de nouvelles depuis trois mois. Les Couvais alertent la police judiciaire mais la photo de Verdoux qu'ils avaient a été brûlée (encore l'ironie de Chaplin). Le film s'empare d'une narration double, les méfaits de Verdoux d'un côté et l'avancée de la police pour trouver ce tueur de vieilles dames qui les a dépouillées de tout leur argent.

Verdoux a parfois un peu de mal avec ses femmes, comme c'est le cas avec Lydia Floray (Margaret Hoffman), vieille dame acariâtre sans sourire, pète-sec, habillée de noir. « No dear me », lui dit-elle dès qu'il arrive («  pas de chérie avec moi »). Il l'a veut sa procuration, il l'aura à l'usure Lydia. Un soir de pleine lune, il la tue enfin. Charles Chaplin ne montre pas le meurtre, tout juste un coup de musique plus dramatique suivi du gag récurrent, Verdoux compte les billets de banque de sa victime avec une rapidité incroyable.

Il vient enfin un personnage à l'opposé de Lydia, c'est Annabella Bonheur (Martha Raye), une bonne vivante excentrique, pour une fois bien plus jeune. Elle épuise Vedroux à force d'aller dans des soirées. Elle est soupe-au-lait mais sa frivolité reprend vite le dessus. Avec elle, Verdoux a plus de mal à trouver le moyen de la faire mourir. Ce sera le poison. Mais ce personnage haut en couleur offre les meilleurs scènes comiques dans une série de quiproquos qui menacent de faire s'effondrer tout le monde patiemment construit par notre assassin en série.

Mais Charles Chaplin ne se refait et le sentimentalisme forcené dont il a le secret reprend le dessus. On rencontre sa vraie épouse, Madame Verdoux, une invalide. Ils ont un enfant. On remarque le changement de tenue, plus sobre lors de ses visites à sa vraie épouse. Et ensuite une jeune femme déclassée par la société. Comme souvent dans les films de Chaplin cette demoiselle deviendra bien plus riche qu'au début de l'histoire, grâce aux judicieux conseils de cet homme. Car jamais Verdoux ne tuerait une femme sans argent.

La deuxième heure de Monsieur Verdoux est le récit de la chute irrémédiable. C'est le crack financier qui débarque en France (lui qui plaçait l'argent dérobé dans la Bourse), c'est ce quiproquo un peu long entre Annabella et Madame Grosnay lors d'une réception, puis le hasard qui fait bien mal les choses quand des parents de Thelma Couvais le croisent dans un café. Le finale est le procès où le procureur désigne Verdoux en monstre et demande à la salle de regarder ce monstre. Verdoux regarde dans cette direction en se demandant de qui il parle. Dernier gag.



























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