lundi 12 octobre 2020

Libre et assoupi (Benjamin Guedj, 2014)

Pour reprendre une expression toute faite, certains films ne trouvent pas leur public. Ça ne vaut pas dire grand chose. On ne dirait jamais que certains films ont perdu leur public (ça pourrait vouloir dire qu'on s'est fait arnaqués sur la marchandise) même s'il est vrai que Libre et assoupi a été peu vu à sa sortie, mais ce qui compte c'est que ceux qui l'ont vu aient envie de le revoir et de partir ce petit plaisir de voir cette comédie française sur une utopie inversée qui rappelle le besoin de révolution des années 1970.

La révolution de Sébastien (Baptiste Lecaplain) est de ne RIEN faire. Si possible dans un lit douillet. Le jeune comédien n'a jamais eu de chance avec le cinéma, il a toujours fait des mauvais choix dans des films pourris (ces films qui perdent leur public). Sébastien est pour l'instant le rôle de sa vie parfait pour son débit rapide et cette voix un peu chantante. Grand corps, cheveux mi-longs, il est assis dans sa première apparition dans Libre et assoupi, parlant des femmes qui l'inspirent. Inspirer pour lui est provoquer une érection et se masturber.

Il explique ça à son colocataire Bruno (Félix Moati) assis à sa droite sur le canapé. Petit brun aux cheveux bouclés, Bruno passe d'un petit boulot à un autre pendant tout le film. Lui est incessamment dans le mouvement. Le choc entre le mouvement et son absence fournit l'essentiel du récit. Enfin, récit, il faut le dire vite. Le film trouve une forme proche de la suite de sketches où les bizarreries de chacun étonnent l'autre, avec ce que cela implique, certains sont meilleurs que d'autres. Le tout est concentré dans un appartement parisien où Sébastien vient d'emménager.

Bruno est amoureux de la propriétaire des lieux, Anna (Charlotte Le Bon). Parmi le meilleur sketch se cache le journal intime de la jeune femme. Elle sait que Bruno le lit chaque jour, Bruno ne sait pas qu'elle a deux journaux intimes, l'un bien caché où elle écrit ce qu'elle veut, l'autre mal caché destiné à Bruno. Le jeu consiste à influencer la vie de l'amoureux timide. Elle écrit qu'elle aime les pantalons en cuir, le lendemain il porte un pantalon en cuir. Ce qui fait rire Anna et Sébastien mis au courant par elle.

La douceur extrême du film passe par cette nonchalance de ses personnages qui vivent comme dans un film d'Agnès Varda, ils sautent du coq à l'âne dans leur conversation (sur tout et sur rien, surtout sur rien), leur jeu (visiter un musée en slip), leur alimentation (Sébastien mange essentiellement des biscuits, Bruno met ses chips au frigo). Reste la vie amoureuse avec un trio théâtralisé où, paradoxalement, personne n'arrive à faire le premier pas, où les allants de Bruno sont brimés tandis que l'amour d'Anna pour Sébastien se solde par une incompréhension.

Ne rien faire consiste à ne pas trouver un travail salarié. Ce n'est pas très à la mode, tous les films français sont construits autour du travail. Les personnages doivent avoir un boulot ou en trouver un ou en perdre un (encore et toujours ces notions de trouver et perdre – comme pour le public). Non, Sébastien non seulement ne veut pas de travail, ni de salaire mais il est bien forcé, ne serait-ce que par Anna qui ne comprend pas. Il va bien falloir qu'il paye son loyer, c'est dans ces petites brèches sociales que se glisse le réalisme du film.

Le RSA va aider Sébastien et son agent RSA est un type qui va partager sa passion du Rien. Denis Podalydès est cet agent qui va passer du temps en slip, assouvir sa passion, mais surtout apprendre à lire. Là est la finalité du film, l'éloge de la lecture et l'amour du livre comme aboutissement du bonheur. Certes Benjamin Guedj – qui n'a pas encore pu tourner de deuxième film – se permet quelques facilité, notamment pour boucler sa boucle, mais Libre et assoupi est tellement charmant qu'il faut qu'il trouve un peu son public six ans après sa sortie.



























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