lundi 10 août 2020

Phase IV (Saul Bass, 1974)

De l'espace intersidéral (le surgissement d'une étoile, l'alignement des planètes) au microscopique tunnel cylindrique d'une fourmilière, du très grand au minuscule, le trajet est fait par les yeux du spectateur qui se transforment avec quelques effets spéciaux lumineux à ceux d'une fourmi qui traverse son espace propre, du sable, de la terre. On est dans un univers rond, celui du cercle parfait, c'est la Phase I qui débute, c'est inscrit en haut à droite de l'écran dans des caractères typiques de la science-fiction.

Ainsi pendant une bonne demi-douzaine de minutes, le spectateur de Phase IV est plongé dans un monde inconnu mais dont il comprend les tenants. Tout le monde connaît les fourmis, tout le monde en a vu dans sa vie mais personne – ou presque – n'a jamais visité les tunnels d'une fourmilière. En plongeant dans cet univers grouillant merveilleux éclairé. Les regards caméra des fourmis valent bien un effet Koulechov, ici elles seront menaçantes, là elles seront tristes, plus tard elles seront emplis de l'envie d'en découdre.

Ce qui apparaît assez vite est que le point de vue est celui de fourmis. Or quand les deux scientifiques entrent dans le récit de Phase IV dans leur camionnette qui n'en finit pas d'arriver du fond du plan en flou proche du mirage (on est en plein désert) jusqu'au village jamais fini qui se nomme Paradise, le summum du sarcasme, il faut déjà comprendre que ce sont les fourmis qui observent les humains débarquer. Dans Paradise, il ne reste qu'une famille qui devrait être évacuée mais qui va rester là malgré leur accord.

Le cercle est déjà dépassé. Les deux scientifiques le pratiquent dans leur tente d'observation, blanche, qu'on croirait sortie d'un paysage martien. Des boules sortent de la tente, cela servira à se protéger des fourmis en répandant un agent (référence critique à la guerre du Viet Nam, l'agent destructeur est le Jaune, plus loin ce sera le bleu). Voilà nos scientifiques qui commencent à grand renfort d'ordinateurs l'évaluation de l'évolution des insectes. L'un d'eux comprend le mode de communication entre les insectes.

Les fourmis ont vite abandonné le cercle pour passer au rectiligne, au monolithe noir avec une fente en son sommet soit une porte pour entrer et sortir, au trapèze brillant qui font cuire les appareils électroniques. Les fourmis comprennent tout, les humains ne comprennent plus rien. Les fourmis savent comment faire exploser le moteur de la camionnette, elles savent comment vider la vie des humains. Représailles des humains avec l'agent Jaune. Résultat, les habitants de Paradise venus se réfugier meurent, sauf la jeune femme cachée dans la cave juste à temps.


De la phase II à la phase IV, c'est le récit d'une guerre sans merci avec ses morts alignés (les fourmis roses filmées en travelling), ses attentats (la fourmi au ventre vert qui sabote les ordinateurs), son évolution darwiniennes accélérée face à la dégénérescence rapide du plus vieux des scientifiques qui perd la boule et voit sa main droite gangrenée. Voici l'unique long-métrage de Saul Bass où le montage compose le suspense avec une musique typique de l'époque une sorte de rock pro à la Tangerine Dream. Une petite étrangeté que je voulais voir depuis des années.





































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