mardi 25 août 2020

O-bi, O-ba, la fin de la civilisation (Piotr Szulkin, 1984)

Je poursuis ma courte exploration du cinéma de Piotr Szulkin, troisième film du moi au titre franchement étrange O-bi, O-ba, la fin de la civilisation. Si Le Golem et La Guerre des mondes, le siècle prochain avaient des scènes à l'extérieur, celui-là se résout à enfermer Soft (Jerzy Stuher), son personnage principal, dans un dédale de couloirs, caves, sous-sol, espaces clos. La teinte générale du film s'en trouve marquée, littéralement glauque, grisâtre, verdâtre, bref la couleur de la mort, la couleur de ces néons qui aveuglent et rendent malades.

L'une des choses les plus sûres dans O-bi, O-ba, la fin de la civilisation est que Soft ne s'arrête jamais de circuler. Moyen très efficace de montrer la populace qui vit là dans des conditions inhumaines. Tout le monde se ressemble, tout le monde semble habillé de haillons, des tenues devenues sans couleur, les visages sont mâchurés, les traits tirés par la fatigue de tourner en rond pour quémander un peu de nourriture. Comme dans Soleil vert, on dispense des biscuits pour la population qui sortent d'un tuyau au beau milieu de la foule.

C'est au fil de ses pérégrinations dans le dédale de ce blockhaus que Soft apprendra d'où vient les biscuits. Non pas de la chair humaine comme chez Richard Fleischer mais plus prosaïquement de la cellulose. Un type, vu en fin de film, jette les livres dans une centrifugeuse qui recycle dans une bouillie infâme. Tout ce trajet pour arriver là vient de la volonté d'avoir des explications sur un projet a priori secret, celui de l'Arche. Or Soft cherche des indications sur cette arche libératrice dans un livre, la Bible. Le type de la centrifugeuse l'a recyclé comme les autres.

Dans les hauts-parleurs installés partout sur les murs, une voix déclare ad libidum « l'Arche n'existe pas et ne viendra jamais, ne croyez pas ces ragots et ces superstitions ridicules, votre avenir dépend de vous et uniquement de vous ». Mais comme le dit un enfant engoncé dans son manteau, si la voix le répète tant et le nie tant, c'est que ça doit forcément exister. Et Soft est là à rencontrer des gens sous ce dôme post apocalypse des gens qui ont l'espoir et la foi de s'en sortir, encore et toujours la religion contre le communauté.

Comme dans les deux films précédents, les rencontres avec d'autres survivants moins soumis aux biscuits se font devant une caméra qui virevolte, qui tourne autour de ses personnages avant d'entamer un champ contre-champ lors des longues discussions de plus en plus obscures sur l'avenir de la population. Soft, comme le spectateur que je suis, cherche des explications à ce qui se passe devant ses yeux, mais plus c'est simple plus c'est compliqué comme écrivait Witold Gombrowicz. Effectivement, dans cette quête rien n'est simple.

Les confrontations sont violentes, les yeux des tous les acteurs sont exorbités avec de rapides mouvements de caméra (ni zoom ni travelling, la caméra est portée) sur les visages. Les visages sont finalement les seuls paysages du film tant ils contrastent avec les aplats des décors qui perturbent les sens. Entre néons, murs sales et tuyaux qui sortent d'ici et là, comme Soft personne n'est capable de savoir où il est. Chaque porte ouvre vers un nouveau personnage avec son lot d'inconnus.


On sort temporairement du glauque avec quelques couleurs vives lorsque Soft retrouve Gea (Krystyna Janda) dans un bar réservé aux riches. Gea est la porte vers l'extérieur, elle prépare l'évasion de l'Arche, non pas avec l'avion que cherche Soft (et qui est démonté pour servir de matière première) ni avec la Bible (elle aussi démontée pour les biscuits) mais avec les couleurs (rouge surtout), la poésie (elle installe des fils de funambule) et l'amour (avec Soft). A moins que tout ne soit qu'une funeste illusion comme le suggère le dernier plan.


























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