lundi 14 mai 2018

Paris n'existe pas (Robert Benayoun, 1968)

« Ils n'ont que l'art à la bouche, et dans la tête, pareil ». Angela (Danièle Gaubert) vient de finir de danser et rejoint son compagnon Simon (Richard Leduc) resté assis sur un sofa. Elle parle de Simon et de son ami Laurent (Serge Gainsbourg), ce sont eux qui ne parlent que d'art. Dans cette soirée d'artistes et d'intellectuels, Robert Benayoun fait parler les autres invités, ils discutent politique, on est en juillet 1968 quelques semaines après la fin de Mai 68.

Simon est peintre, évidemment non figuratif comme le montre les quelques tableaux qu'il va s'échiner à finir. Il est en panne d'inspiration, l'angoisse de la toile blanche. C'est sans doute pour cela qu'il accepte de tirer sur un joint lors de cette soirée qui ouvre Paris n'existe pas. Pour indiquer le passage vers l'autre monde que le cinéaste développe, il suffit de quelques cartons type comic book, hop un « boum ».

Le dérèglement que subit Simon est temporel, il se balade dans le temps. Il tente d'expliquer à Laurent ce qui lui arrive. La première demi-heure du film est très philosophique, comme disait Angela, ils n'ont que l'art à la bouche mais c'est la manière d'en causer, tout en dialogues ciselés déclamés par un Serge Gainsbourg en chemise à jabot et porte-cigarette, une vraie tenue de dandy. Les deux amis parlent de cette notion du temps.

On l'avait remarqué, surtout dans la toute première séquence sans rapport avec le reste du film ainsi que dans la générique, les horloges abondent dans Paris n'existe pas. Il s'agit ensuite de montrer ces glissements du temps entre les doigts et les yeux de Simon. Les objets ont été déplacés, il suffit de montrer deux plans cadrés dans l'axe avec l'objet déplacé. Une dame traverse une route quelques minutes avant que Simon ne la regarde, une surimpression de plans.

Dans cet appartement, décor presque unique du film, que Robert Benayoun a bien pris soin d'explorer dans les moindres détails avec de larges mouvements d'appareil, Simon découvre qu'il était habité par une autre femme des décennies auparavant. Cette femme se déplace dans son appartement, y compris dans ses moments intimes avec Angela, et Simon commence à tomber amoureux d'elle.

Simon explore ce passé et Robert Benayoun filme ces découvertes du décor ancien avec ce même montage comparatif d'une sincère candeur. Ce fantastique domestique se prolonge enfin dans les rues de Paris. Années 1960 (les années yéyé aux couleurs vives), années 1940 (la guerre, l'occupation en couleur sépia), années 1920 (images d'archive des années folles en noir et blanc), les rues et avenues sont comparées dans une superposition temporelle.


Simon au fur et à mesure qu'il traverse le temps pense qu'il peut contrôler non seulement le passé mais aussi le futur. Il regrette cependant de ne pas pouvoir aller plus loin jusqu'à ce qu'il parvienne à faire venir le Roi Soleil (Maurice Benichou). Le dernier plan du film anticipe le Shining de Stanley Kubrick avec ces photos de Simon dans le passé. Là est toute l'ironie de l'anticipation de ce premier film de l'ancien directeur de la publication de Positif : il aurait prévu ce finale de Shining.





























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