mardi 29 mai 2018

L'Enfance nue (Maurice Pialat, 1968)

L'enfant s'appelle François, il a dix ans, il vit à Lens. Il ressemble comme deux gouttes d'eau à Antoine Doinel d'autant que le prénom choisi pour le personnage de Michel Terrazon (qui jouera un petit rôle dans La Maison des bois la série ORTF de Maurice Pialat) est celui de Truffaut qui produit ce premier film (avec Claude Berri entre autres). François est un gamin de l'assistance publique, comme un disait à l'époque, sa mère ne peut pas l'élever, il vit en famille d'accueil.

Mais cela, le spectateur n'est pas encore censé le savoir quand commence L'Enfance nue. Maurice Pialat filme d'abord une manifestation syndicale (on doit être le Premier Mai) puis bifurque dans une boutique de vêtements. « Qu'est-ce qu'on dit ? » « Merci » « Merci qui ? » « Merci maman ». La maman en question est celle de la famille d'accueil de François. Elle vient de lui acheter une veste bleue, un cadeau utile pour lequel l'enfant doit la remercier.

Josette, la fille naturelle de la maman, balance à son frère d'adoption « qu'est-ce que t'es moche ». Il lui rétorque « tu t'es pas vu ». Comme dans Les 400 coups, le ton est vif, direct. Il le demeurera tout au long du récit qui s'étale sur quelques mois jusqu'à Noël. François, contrairement à Josette une gamine gâtée, n'a pas sa propre chambre, il vit sur le palier, comme le remarque avec déception le directeur de l'assistance publique venu faire le point avec les parents.

Il a une bonne tête d'ange le François mais la maman veut s'en débarrasser. Dans la cuisine (Maurice Pialat a aussi l'art de trouver des décors dans leur jus), elle déballe tout ce qui ne va pas, laissant peu la parole à son Roby, son mari interprété par Raoul Billerey, un bon gars mais épuisé par le travail. François, histoire de la faire culpabiliser, ira acheter un foulard chic dans une boutique pour l'offrir à cette mère éphémère, œil pour œil, cadeau pour cadeau.

Avant de se retrouver chez Pépère et Mémère (Monsieur et Madame Thierry, un couple d'acteurs non professionnels, parfaits) nouveaux parents nourriciers, Maurice Pialat filme le convoi des enfants en train puis en voiture. C'est un bloc documentaire puissant et cruel en même temps où est décrit le destin de ces enfants abandonnés ou orphelins en recherche de famille dans un montage qui laisse apparaître plusieurs plans séquences entremêlés.

C'est ainsi que fonctionne la mise en scène dans L'Enfance nue, le documentaire brut alterne avec la fiction de François dans cette famille entre les deux vieux, le grand « frère » Raoul (à l'accent à couper au couteau) et « mémère la vieille », la grand-mère maternelle que François affectionne particulièrement. Pour les scènes documentaires, on découvre comment on ventile les enfants, comment une maman ne « veut pas d'un petit Noir, comment le directeur fait ses rapports.

Dans la nouvelle famille, François continue d'être bien gentil, poli, d'avoir une bonne tête d'ange et pépère et mémère lui rendent bien cette gentillesse. C'est très beau de voir ce couple rejouer certaines scènes de leur vie, raconter leur passé à François, elle sur les genoux de lui « tu vois on s'aime bien », la douceur derrière leurs grosses lunettes est là, la petite blouse, le gentil sourire. On les suit en famille, à un mariage, pendant les repas.

Dans une scène, Maurice Pialat saisit toutes les contradictions de cet enfant solitaire. Dans une salle de cinéma, il traîne avec quelques jeunes plus grands que lui, il est fasciné par le bagout de l'un d'eux qui se taillade la peau pour faire un tatouage. Il rêve de devenir comme ces grands. Mais dès la salle éteinte et le western lancé, plus rien d'autre ne l'intéresse que ce qui se passe sur l'écran.


Plus on l'aime, plus François fait des conneries. Il vole tout et n'importe quoi, il pisse au lit, il ne travaille pas à l'école, il se dispute avec Raoul, jusqu'à l'incident fatal, il jette de la ferraille trouvée au bord d'une voie ferrée sur une voiture. Je suis encore sidéré de voir la violence de ce premier long-métrage et pourtant malgré tout ce qui arrive à François, Maurice Pialat retient cette émotion primaire que ce genre de sujet appelait, c'est sa plus grande force.
























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