mardi 8 mai 2018

Grands soirs & petits matins (William Klein, 1968)


Grands soirs & petits matins, c'est Paris pris sur le vif en à peu près 250 scènes, Mai 68 comme si on y était, à écouter les discussions sur le trottoir, au milieu de la rue entre les passants, à filmer les premières manifestations dans le Quartier Latin. Dans le défilé des étudiants en médecine, on reconnaît en tête de cortège Bernard Kouchner, au défilé des Etats généraux du cinéma, c'est Resnais, Rivette, Malle et Doniol-Valcroze. Plus loin, dans le comité Gavroche, on découvre Renaud, 16 ans à l'époque. Chris Marker, de loin appareil photo en bandoulière cherche visite lui aussi le petit matin et ses voitures renversées.

Ce qui frappe dans la mise en scène de William Klein c'est l'extrême bienveillance avec laquelle il capte les paroles, cette manière de s'immiscer dans les groupes de discussions. Peu importe ce qu'il filme, il est à l'écoute des bavardages (il y en a beaucoup), des disputes (souvent pour pas grand chose), William Klein filme un peu tout et pas grand chose mais avec la conscience que quelque chose peut se passer. Ce que l'on entend est surtout la peur que rien ne sorte de ces manifestations, que la révolution souhaitée n'ait pas lieu. Tous ceux qui causent devant la caméra et le micro soutiennent le mouvement.

Pour bien comprendre cette bienveillance, il suffit de voir comment il enregistre la parole du pouvoir, celle de De Gaulle et Pompidou. Elle passe par une captation de leur passage télévisuel, leur visage est déformé par l'écran cathodique, ce sont des visages grotesques, il les ridiculise. A la Sorbonne, le discours de De Gaulle est écouté sur un transistor par les étudiants. Ils réagissent par des huées, en entonnant L'Internationale. Le film s'achève par l'allocution télé du général, il prononce un discours pesant, démagogique, verbeux. De Gaulle n'a rien compris à ce qui se passe mais annonce la mort dans l’œuf de la révolution.

William Klein filme les coulisses de ce qui se passe à la Sorbonne. Pour occuper l'université, il faut s'organiser avec une discipline qui ne doit rien à l'anarchie, bien au contraire. Une salle est dédiée à la confection de sandwiches, une autre devient une garderie, ailleurs un groupe coordonne les actions des lycées. Il filme d'ailleurs longuement une lycéenne qui a au bout du fil une maman inquiète de n'avoir pas vu son fils depuis plusieurs jours. La séquence varie de l'hilarité générale des garçons autour de la lycéenne au sérieux devant la situation.


La star du film est Daniel Cohn-Bendit. Son arrivée à la Sorbonne est filmée comme un western, avec une ivresse de bonheur non dissimulée. Ses discours joyeux et facétieux sont encadrés, non sans malice, par la langue de bois des leaders syndicaux à la manifestation autorisée au stade Charléty ou la logorrhée absconse des « camarades » de la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire, soit les maoïstes) notamment Alain Geismar. En Mai 68, Daniel Cohn-Bendit était le premier Insoumis, 50 ans après personne ne semble parvenu à l'égaler.




























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