lundi 28 mai 2018

L'Heure du loup (Ingmar Bergman, 1968)

Soudain, une vieille dame très apprêtée s'adresse à Alma (Liv Ullman) en lui demandant de ne pas prendre peur. Elle dit avoir 216 ans et se corrige immédiatement pour un 76 ans plus crédible. « Regarde sous son lit, tu trouveras une sacoche. Dedans il y a son journal intime. Lis le. » Alma étendait son linge dans le jardin de la propriété en attendant Johan (Max von Sydow) son compagnon depuis sept ans. Pendant qu’il n’est pas là, elle lit quelques pages du « Dagbok » de son homme.

Allongée sur le lit, Alma lit quelques pages banales, Sur l'île où le couple a établi sa villégiature estivale, Johan peint une toile (c'est son métier) et rencontre le baron, propriétaire de l'île, le tout est filmé en plan séquence. Plus tard, elle découvre qu'il a une maîtresse, Veronica Vogler (Ingrid Thullin). Sur une autre page, Johan raconte qu'un des habitants des lieux le poursuit pour lui déclarer son admiration. Johan fuit devant les compliments et jette l'homme à terre qui en perd ses lunettes.

Alma découvre cette partie de la vie de Johan, elle n'était pas au courant de l'invitation (elle va lui rappeler comme si elle le savait) ni du reste. Mais l'une des forces formelles de L'Heure du loup est de savoir si ce qu'elle lit est vraiment écrit ou si elle invente tout. Après tout, depuis le tout premier plan du film où Alma s'adresse face caméra au spectateur, c'est elle qui possède le pouvoir du point de vue, elle est la narratrice tout à la fois objective (elle raconte) et subjective (des éléments qui ne la concerne pas).

Il est ainsi facile d'imaginer que la plupart des scènes étranges, proches du fantastique, qui composent le motif narratif de L'Heure du loup sont des visions fantasmées de la vie monacale et ennuyeuse que le couple vit pendant cet été. Le repas chez le baron apparaît comme un cauchemar éveillé, chaque convive se présente face caméra (comme Alma le faisait), dans un rythme très vif rejoignant la nervosité de Johan quand tous commencent à lui parler, scène magnifique qui ressemble à du Federico Fellini de la même époque.

La plongée dans l'inconnu se prolonge par le retour du titre du film à son mi-temps, c'est littéralement un nouveau départ de récit, marquant l'accession vers le point de vue de Johan après celui d'Alma. C'est une plongée dans son cerveau abîmé et malade. L'humeur de Johan est de plus en plus morose, il se sent de plus incapable de décrire à son épouse le mal qui le ronge. Les discussions que le couple tente d'avoir mènent à des dialogues de sourds, Ingmar Bergman filme ces scènes sinistres dans un clair-obscur angoissant.

Le cerveau de Johan se matérialise dans une maison peuplée des invités du baron mais la demeure n'est qu'un dédale d'escaliers remplis de pigeons, d'immenses pièces vides où un interlocuteur marche sur le mur. Johan traverse le regard hagard et inquiet jusqu'à la découverte de la dame qui demandait à Alma de lire le journal intime. Dans un geste horrifique, elle retire ses cheveux puis son visage provoquant l'effroi de Johan et le dégoût de l'hôte des lieux à cause de l'odeur de pourrissement du visage.


Peut-être que Johan n'est déjà plus de ce monde mais déjà dans un au-delà, la raison en serait la séquence la plus énigmatique de L'Heure du loup. Johan, torse nu, pèche sur des rochers, un garçon en maillot de bain vient autour de lui et soudain mord Johan qui le met à terre, le tue avec une pierre et le jette à l'eau. Filmée dans une image négative de la pellicule, sans dialogues, cette séquence de meurtre froid est accompagnée d'une musique de cordes dissonantes. C'est sublime.

































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