jeudi 10 mai 2018

L'Esprit du temps (Johan Van Der Keuken, 1968)

Des manifestations contre la guerre au Viet Nam, contre le président américain Lyndon Baines Johnson accusé d'assassin par les manifestants, en hommage à la mort de Martin Luther King Jr permettent de situer le tournage de L'Esprit du temps en avril 1968. Aux Pays-Bas, la jeunesse (c'est elle qui est essentiellement vue dans le film de Johan Van Der Keuken) occupe la rue et défile devant l'ambassade américaine avec un drapeau vietnamien. Si les slogans sont rudes (CIA et Johnson assassins) ils manifestent en ordre (étonnante scène où ils attendent le feu vert pour traverser la rue).

Pour remuer cet ordre établi, ces gentils défilés, Johan Van Der Keuken organise le sien, totalement différent. Le cinéaste néerlandais abandonne le confort du documentaire pour une autre contrée cinématographique risquée et indéfinissable. L'Esprit du temps défie les classements mais une chose est certaine, il s'amuse avec sa table de montage. Cette contre-manifestation en début de film est montée à l'envers, les gens reculent. En tête de cortège, deux hippies (je vais les qualifier ainsi pour plus de facilité) le visage maquillé, le sourire enjôleur des gars ravis de leur petite blague (celle de sortir maquillés dans la rue).

Ce visage de jeune homme est celui qui est le plus filmé dans L'Esprit du temps. Maquillé comme un chanteur glam (mettons David Bowie), avec des paillettes sur les paupières, des dessins sur les joues et le front, on le découvre en train de se maquiller, mais à rebours, la main qui se pose sur son visage angélique dérobe les dessins pour laisser apparaître son vrai visage. Plus tard dans le film, en plan fixe, regard caméra, il adoptera différents maquillages, dont un Jésus que suit un Hitler. Entre ces deux séquences, on le découvre dans un bureau, à côté d'hommes en cravate, en train de travailler.


La meilleure définition de ce film de Johan Van Der Keuken (d'une durée de 43 minutes) est le sample. C'est la répétition de mots (fonctionnaire) et d'images en boucle (celui qui prononce fonctionnaire), addition d'insert de la nature (nuage, flaque, herbes folles), théâtre vivant où un unique acteur répète la même phrase, la redondance d'un sketch de la télé et des policiers entourant les manifs. Tout cela a un objectif : perturber les sens. Les plans sont en eux-mêmes tous lisibles mais c'est leur montage qui empêche leur lecture, comme le jeu de cadavre exquis appliqué au cinéma.
































Aucun commentaire: