jeudi 9 mars 2017

Dr Jerry et Mister Love (Jerry Lewis, 1963)

En 1963, le nutty professor de Jerry Lewis s'appelait Professeur Kelp, aujourd'hui il serait nommé professeur Nerd. Kelp sonne comme une onomatopée, un peu de snap, de clap, mais aussi comme un grand help !, un homme qui appelle à l'aide, un enseignant d'université mal fagoté, portant des lunettes demi-lune, aux dents de lapin, aux cheveux ébouriffés. Et son prénom est Julius, tout à la fois le vrai patronyme de Groucho Marx (le seul qui portait des lunettes) et un prénom qui fleure bon le terroir américain, la classe laborieuse où le petit serait devenu un homme important.

Cette importance est à géométrie très variable. Ses rapports avec les étudiants ne sont guère faciles. L'un d'eux, évidemment un sportif dans cette habituelle bataille entre les nerds et les jocks, refuse de rester en cours pour aller s'entraîner et encastre Kelp dans un placard. Avec sa hiérarchie, la relation n'est pas au beau fixe. Au début de Docteur Jerry et Mister Love, Kelp provoque une explosion pendant son cours de chimie, après le passage des pompiers, son extraction sous une porte, il est convoqué chez le directeur.

Ce sont d'abord des gags visuels et sonores que Jerry Lewis déploie dans son film et, pour une fois, tous ont leur importance pour le récit. Ses précédents films n'étaient qu'une suite de gags sans scénario fort. La visite au directeur est celle du gag du fauteuil où Kelp s'enfonce jusqu'au fond, celle de la pantomime quand il se fait gronder comme un enfant, celle où l'on découvre que lorsqu'il ouvre sa montre gousset, une musique bruyante se fait entendre. Et pendant ce temps, le directeur (Del Moore) est pris de tics irrépressibles.

Une seule élève porte attention à son professeur. Stella Purdy (Stella Stevens) est une blonde aux cheveux courts dont les couettes sont tenues par deux rubans. Kelp est d'une timidité maladive, il trébuche en montant sur l'estrade, il se trompe dans ses mots. Mais c'est sa voix qui ajoute à la panoplie de l'homme peu sûr de lui et incapable de conquérir la jeune étudiante. Il a une voix stridente, nasillarde, cela confrère au personnage de Jerry Lewis un ridicule, une position puérile de l'homme qui n'aurait jamais vraiment grandi.

J'aime beaucoup le titre français qui scrute immédiatement le concept de Dr Jekyll et Mr Hyde. Ainsi, si Kelp est Jekyll, son alter ego maléfique devrait être encore plus laid, encore plus maladroit, encore plus coincé. Jerry Lewis, une fois que le professeur Kelp a bu son breuvage et que la transformation est entamée, filme un visage trituré, des dents déformés, des poils sur les mains, puis, en caméra subjective lance son double monstrueux dans la rue où les regards caméras des badauds sont déroutés.

Le patronyme du Hyde du professeur Kelp vient du hasard. Prénom : Buddy, se présente-t-il à Stella Burdy, nom de famille : Love. « Le pote de l'amour ». En guise de monstre, c'est Jerry Lewis plein de sex appeal qui apparaît à l'écran. Cheveux gominés, regard perçant, et surtout l'acteur retrouve sa vraie voix grave, non pas celle que les spectateurs ont pu entendre dans ses films précédents qui était toujours déformée, mais celle de Jerry Lewis lui-même, dans ses films suivants, il adoptera désormais cette voix d'une grande clarté et à la diction parfaite.

Buddy Love est aussi beau que Julius Kelp était vilain, mais leur caractère sont inversés. A la gentillesse du professeur cède l'arrogance du séducteur. Il a un beau visage, il est bien habillé, mais il traite tout le monde comme des moins que rien (et certaines mauvaises langues disent Jerry Lewis se comportait ainsi sur les plateaux). Cependant, il parvient à séduire Stella avec un jeu de dialogues qui coupent court au flirt bon enfant. Buddy Love triomphe jusqu'à la fin des effets de son potion magique où la voix de Kelp reprend les commandes.

Le génie du film repose sur la palette chromatique de la photographie. Du générique d'ouverture avec ses fioles remplis de liquides aux couleurs vives à la visite du club fréquenté par les étudiants, le bien nommé Purple Pit, en passant par les costumes pastel de Buddy Love. Le morceau de bravoure du film est la séquence de transformation, déluge de couleurs éparpillées sur le sol, variation des teintes du visage de Kelp, filmée dans une pénombre crépusculaire et une musique angoissante. Dans le finale, le costume de Jerry Lewis se confond avec le rideau pour appuyer le retour à la normalité. C'est fou comme c'est beau !

































Aucun commentaire: