lundi 6 mars 2017

Chez nous (Lucas Belvaux, 2017)

Ce sont de lents travellings latéraux qui invitent à découvrir une petite ville du Pas-de-Calais au petit matin. Une rue déserte avec ces habituelles maisons de briques rouges, des immeubles HLM, une bretelle d'autoroute encercle la commune, des champs qu'un agriculteur laboure. Bienvenue à Hénard le décor de Chez nous. On sait tous de quoi parle le dernier film de Lucas Belvaux mais le cinéaste rappelle que derrière le sujet existe la forme cinématographique et que le travelling est affaire de morale.

De la bonne morale, Pauline (Emilie Dequenne) en regorge, elle est infirmière et fait partie de ces gens que le parti d'extrême droite appelle « la France qui se lève tôt ». Comme l'agriculteur qui déterre des obus dans son champ, Pauline part travailler le soleil à peine levé. Avec sa voiture (française), elle parcourt la commune que Lucas Belvaux vient de nous présenter, elle connaît tout le monde et tout le monde la connaît, les vieux, les jeunes, le cinéaste varie les patients, la fait circuler dans tous les milieux, enfin, ce sont surtout des déclassés.

C'est une idée formidable de commencer par cerner le terreau électoral, d'en étudier la topographie, c'est la circulation entre les décors principaux. D'abord l'appartement du père de Pauline incarné par l'acteur régulier du cinéaste (Patrick Descamps), communiste, en mauvaise santé (régime sans sel), sans travail (retraite ou chômage ?). Le père regarde souvent la télévision avec les enfants de Pauline, précisément, la télé est toujours ouverte avec son flux continu de news sans analyse, c'est une écoute passive que décrit le film.

Pauline passe d'un lieu à un autre, de chez son père aux HLM où elle soigne notamment la mère de Jamila et écoute ses soucis matrimoniaux, à un repas dans une villa de lotissement avec tous ses amis où les langues se délient (ce célèbre « dire tout haut »), les différentes opinions des protagonistes commencent à fractionner le récit puis la maison cossue du bon docteur Berthier (André Dussolier). Il connaît Pauline depuis toujours, il a soigné ses parents (la mère est décédée d'un cancer). Il invite Pauline à dîner et lui propose de représenter le parti aux municipales.

A la figure souriante et respectable du notable qui va embrigader Pauline (hilarante mais glaciale scène de coaching avec les apparatchiks du parti d'extrême droite qui transforme l'infirmière en clone de la cheffe que joue Catherine Jacob), Lucas Belvaux oppose Stéphane « Stanko » (Guillaume Gouix). C'était le premier petit copain de Pauline quand ils avaient 16 ans, ils se retrouvent lors d'un match de foot du fils de cette dernière. Stéphane est l'entraîneur de l'équipe adverse le jour et pratique des ratonnades la nuit.

Il fallait toute la douceur de Guillaume Gouix pour faire passer ce personnage de nazillon, un gars d'origine polonaise, comme son nom de famille l'indique, qui lors du premier rendez-vous galant avec Pauline l'invite à manger un couscous. Stéphane représente le passé de ce parti d'extrême droite et paradoxalement Berthier, son ancien mentor, son père de substitution en est l'avenir édulcoré mais aussi extrémiste. Comme elle est mise de côté par les apparatchiks, Pauline ignore tout de la guerre larvée et violente entre le docteur et son petit ami.

Jamais à court de contradictions révélatrices de la confusion morale que vivent les personnages, et c'est cela qui fait la force du film, Lucas Belvaux abreuve son récit de détails qui composent le puzzle du délitement politique. Certes, certaines maladresses sont autant d'écueils (certains dialogues tombent comme un cheveu sur la soupe) parce qu'il veut trop en dire, mais comparé à ses derniers films (l'édifiant 38 témoins et le raté Pas son genre), Chez nous trouve le ton juste pour démonter le lavage de cerveau et le logiciel de l'extrême droite.

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